Dans un contexte post-confinements, alors que les espaces culturels doivent redoubler d’efforts pour attirer l’attention des publics, repenser leur attractivité, faire preuve d’inventivité pour proposer des expériences à la fois culturellement pertinentes et vectrices de lien social malgré les contraintes sanitaires qu’impose le monde de 2021, le SITEM a proposé, lors de sa dernière édition, d’ouvrir la voie à une démarche alternative. Durant près de trois heures, Pierre Lemarquis (Neurologue), Laure Mayoud (Psychologue clinicienne et enseignante) et Nathalie Bondil (Directrice du musée et des expositions à l’IMA) ont partagé leurs idées, leurs projets et leurs retours d’expérience concernant l’usage thérapeutique de l’expérience muséale et du propos culturel.
L’art qui guérit
Dans le premier temps de la conférence, Pierre Lemarquis a rappelé, de manière didactique et en guise de préambule au propos de ses deux consoeurs, les fondamentaux de l’art appliqué à la démarche thérapeutique. Appuyé par son travail et le rapport de l’OMS du 11 Novembre 2019, affirmant l’utilité de l’art dans la santé, il a repris les bases neurologiques qui permettent de comprendre l’impact de l’expérience sensorielle dans le cerveau et la psyché humaines.
Au travers de nombreux exemples, il a rappelé la relation inextricable entre l’art et l’humain, l’un façonnant l’autre, l’autre façonnant l’un ; son propos a alors pris corps dans l’analyse suivante : les œuvres d’art sont des entités biologiques, les êtres humains sont des œuvres d’art. Cette relation bilatérale induit donc les phénomènes analysés depuis l’Antiquité que sont l’empathie et la catharsis.
Bien entendu, cette analyse ne repose pas uniquement sur des théories intellectuelles. Elle s’appuie en grande partie sur des analyses scientifiques, cognitives, hormonales, des recherches sur le fonctionnement du cerveau lorsqu’il est confronté à l’art, qui en démontrent le bienfondé. Pierre Lemarquis a conclu sa prise de parole par une citation de Jean-Marie Le Clézio, qui disait ”Un jour, on saura peut-être qu’il n’y avait pas d’art, mais seulement de la médecine”, inférant par là que l’art-thérapie, n’est, depuis longtemps, qu’un secret de polichinelle dont il s’agit aujourd’hui de prendre la pleine mesure.
L’invitation à la beauté
À son tour, Laure Mayoud, psychologue clinicienne et professeure d’université en région lyonnaise, a pris la parole pour évoquer sa démarche de soignante. Convaincue des bienfaits de l’art-thérapie, elle propose plusieurs procédés d’accompagnement.
Le premier consiste en ce qu’elle appelle des prescriptions culturelles. Au même titre que les prescriptions médicales de comprimés, de manipulations kinésithérapeutiques, ou d’analyses en laboratoires, ces prescriptions culturelles consistent en une proposition faite aux personnes qu’elle reçoit en consultation ; un poème, un tableau, un livre, minutieusement choisi pour ses propriétés, ses thèmes, ses couleurs, ses sons, associé à un parfum, choisi par les personnes, dans le but d’accompagner et de sublimer le parcours psychologique. Ces prescriptions sont optionnelles, et leur usage est à la discrétion des patientes et des patients. Une démarche qui, comme en témoigne sa patientèle, humanise le procédé sans inhiber leur capacité émotionnelle comme pourrait le faire un procédé médicamenteux. Elle apporte donc l’art et l’expérience de l’art dans la démarche thérapeutique.
Mais elle propose également un second procédé qui va plus loin. Au travers « L’invitation à la beauté » (l’association qu’elle a fondé), elle propose d’apporter l’expérience muséale dans l’environnement hospitalier. Non pas simplement en décorant les couloirs, mais en proposant d’afficher des tableaux, des œuvres originales, dans les chambres mêmes des personnes soignées. L’association conçoit donc une artothèque d’une quarantaine d’œuvres de tous courants, de tous types, d’artistes connus et moins connus, afin de proposer un panel de choix qui s’adresse à un maximum de publics différents. L’artothèque est alors présentée aux personnes lors de leur hospitalisation, qui peuvent choisir une œuvre pour les accompagner tout au long de leur séjour hospitalier à travers une scénographie qu’il leur est permis de choisir. Une démarche muséale et artistique qui apporte bien-être aux soigné·e·s comme aux équipes soignantes et facilite le travail de soin par une amélioration de la condition des personnes hospitalisées.
La muséothérapie
Le dernier tiers de la conférence était consacré au retour d’expériences de Nathalie Bondil, aujourd’hui directrice du musée et des expositions à l’Institut du Monde Arabe, qui est revenue sur son travail de directrice générale et conservatrice en chef du Musée des beaux arts de Montréal. Le propos qu’elle a tenu rejoignait intimement celui de Pierre Lemarquis, en cela qu’elle a fait le constat de l’impact neurologique de l’art sur la psyché humaine. De ce constat sont nés une série de projets collaboratifs entre le musées montréalais et des associations locales autour de thématiques ciblées (Altzheimer est notamment cité).
Des expériences ponctuelles comme on peut en voir dans de nombreux établissements culturels. Là où ses équipes sont allées plus loin, c’est dans la création d’un comité consultatif Art et Santé qui associe à l’équipe du musée des partenaires de médiation et d’experts afin d’ouvrir le champ des compétences des équipes ; l’objectif global était de penser l’expérience muséale au-delà de son rôle classique de collection, d’étude et de mise à disposition des œuvres, et de l’emmener vers de nouvelles thématiques, que sont notamment l’inclusion et la santé. Bien entendu ces changements de paradigmes ne se font pas d’un claquement de doigt. Cela a demandé une volonté forte de la part de la direction et une certaine humilité quant aux limites des compétences présentes dans l’équipe. Humilité qui les a poussées à s’associer à des experts de renom, notamment dans le domaine scientifique, afin de valider les démarches, les propositions et les projets.
Cette vision moins pyramidale et plus horizontale de la démarche de curation et de la conception de la scénographie était au coeur du propos de Nathalie Bondil. L’objet, pour elle, n’est pas de récupérer des projets pour les développer en interne, mais bien de travailler de manière collaborative avec les associations et les organismes qui souhaitent porter avec le lieu culturel des projets de santé. Ces collaborations ne sont pas simplement des échanges de compétences, mais des conversations, des réflexions en commun sur les questions de choix des oeuvres, de scénographie, d’accueil des publics ou encore des protocoles de visite. Le caractère encore émergent et expérimental de cette démarche fait que les projets proposés sont majoritairement des projets pilotes, dont le succès n’est pas garanti.
Certains seront des échecs, rassure-t-elle. C’est ce qui permet d’avancer. En complément de ces projets d’expositions, le Musée des Beaux-Arts de Montréal a également été le premier établissement muséal à recruter, au sein de son équipe, un art-thérapeute et à créer dans ses murs un espace dédié à l’art-thérapie. Des collaborations et des mise à dispositions d’espaces qui se développent petit à petit sur des initiatives locales dans certains lieux de cultures en France notamment, et qui seront amenées à se développer davantage encore dans les années à venir.
Enfin, Nathalie Bondil a évoqué un projet pilote qui lui tient particulièrement à coeur, et qui fait écho à la pratique de Laure Mayoud. Il s’agit d’un partenariat entre le MbaM et l’association des médecins francophones du Canada. L’objectif était de permettre au médecins de prescrire, de la même manière qu’ils peuvent prescrire une activité sportive par exemple, des visites gratuites au musée, rappelant s’il le fallait le caractère essentiel de la culture à l’équilibre de l’humain au sein de la société. Le protocole d’administration était bien entendu encadré et le projet, qui était un succès, commence déjà à faire des émules en Belgique. Nathalie Bondil a assuré que ses yeux étaient désormais tournés vers Paris et la France pour poursuivre cette émulation.
La santé pour enrichir les musées
Ce qui est ressorti des discours des trois intervenants de cette fascinante conférence, était le sentiment d’un changement de paradigme. Non pas dans l’optique de remplacer
l’expérience du musée telle qu’on la connait, ou d’en changer les valeurs de collection et
de curation qui sont au coeur de son ADN, mais plutôt pour nourrir et enrichir la palette
de ce qui est possible au sein d’un espace de culture, de l’ouvrir vers de nouveaux publics et de nouvelles pratiques, et de permettre à la pratique muséale de se sublimer pour s’épanouir et garder une place essentielle au coeur des grandes bouleversements sociaux que nous traversons.