Par Géraldine Broquin
C’est avec la volonté d’interpeler les professionnels du secteur que l’édition Auvergne-Rhône-Alpes du Forum Entreprendre dans la Culture 2019 (organisée le 21 novembre à Lyon) a programmé une table ronde dédiée au marketing culturel : « Le marketing culturel ? Vous en faites déjà ! »Autour de Laetitia Mistretta, responsable de la communication Auvergne-Rhône-Alpes Spectacle Vivant, trois intervenants ont présenté ce qu’est le marketing culturel, ce qui le différencie d’une démarche marketing traditionnelle, les applications qui peuvent en être faites et les effets qui en résultent.
Le marketing culturel, un outil relationnel
En introduction, Cyril Leclerc, consultant en communication et marketing culturel, présente le marketing culturel comme un outil permettant de faire avancer son projet vers un « cap » défini, en interconnexion avec une équipe projet et les publics, tous mobilisés vers un objectif commun.
La finalité d’un marketing adapté au secteur culturel est la rencontre avec les publics. Contrairement aux techniques marketing du secteur marchand, qui tend à créer un besoin de consommation, le marketing culturel se doit de partir de l’offre artistique préexistante pour la promouvoir auprès d’un public en devenir. Cette condition sine qua non garantit l’indépendance de la création artistique ; elle doit rester un point de vigilance.
Il existerait donc une forme de marketing adaptée aux projets culturels et artistiques ? C’est la conviction de Cyril Leclerc, dont l’expérience de communicant lui a révélé la nécessité de déployer des stratégies de communication globales, intégrées aux politiques de développement des publics. Pour qui éditons-nous un flyer où une affiche ? Quel message voulons-nous faire passer ? Quelle histoire voulons-nous écrire avec le public ? Autant de questionnements qui peuvent initier une démarche de marketing culturel.
Cyril Leclerc tient à rappeler une notion fondamentale : il s’agit d’intégrer l’humain. Loin de l’image froide et systématique que renvoie le marketing, nous ne l’abordons pas ici comme un outil transactionnel mais comme un outil relationnel. L’objectif à moyen ou long terme est d’établir une relation durable avec ses publics.
Revenons sur l’indispensable définition préalable des objectifs pour construire du sens et de rendre plus compréhensible l’objet artistique auprès du public. Cyril Leclerc recommande de se fixer un objectif SMART, c’est à dire :
-Simple
– Mesurable
– Atteignable
– Réaliste
– Temporellement défini
Il n’est plus possible d’ignorer qu’une concurrence, parfois rude, existe au sein du secteur culturel et artistique. Dans ce contexte, envisager une démarche de marketing culturel est une manière de réfléchir à ce qui fait l’unicité de son projet. Cette unicité existe pour chaque propos artistique ; c’est un point de départ pour se démarquer, se différencier, exister parmi les offres nombreuses. Enfin, Cyril Leclerc précise qu’il n’y pas de marketing sans analyse : il est essentiel de bien connaitre son environnement et ses cibles, que ce soit par le biais d’études de publics ou par une veille sur les bonnes (et moins bonnes) pratiques par exemple. C’est précisément à partir de cette offre artistique unique et de la connaissance de son environnement (son marché) que le marketing culturel va organiser les éléments d’un storytelling cohérent, un récit qui va chercher à connecter les publics avec l’histoire portée par la structure, les artistes, les lieux… il ne s’agit pas d’adopter une posture transactionnelle (chercher à vendre quelque chose) mais de créer un univers cohérent qui permet de rencontrer les publics à différents points de contact.
Chaque projet étant unique, il n’y a pas de recette universelle, à chacun d’inventer sa propre stratégie en s’appuyant sur les outils que propose le marketing culturel. Et adopter une stratégie signifie faire des choix pour être plus performant : quelles cibles, quel modèle économique, quelle politique de développement, quels tarifs, diversification des ressources… l’ensemble de ces éléments, travaillés en cohérence avec le propos artistique, contribuent à soutenir une activité efficace et à lui assurer une certaine pérennité.
Pour parfaire cette introduction au marketing culturel, Cyril Leclerc propose une citation issue de l’intervention Tedx « Comment les grands leaders nous inspirent à passer à l’action » de Simon Sinek : « Les gens n’achètent pas ce que vous faites mais ce pourquoi vous le faites ». Dans cet esprit, il propose une vision du marketing culturel permettant de travailler sur la raison d’être sociétale du projet.
L’important ce n’est pas le marketing, c’est ce que l’on en fait
Apprendre à connaitre ses publics c’est aussi chercher à comprendre quels peuvent être leurs freins. Le marketing peut-il contribuer à les rassurer face à des peurs concrète ou symboliques ?
Matthieu Raoult, responsable marketing du Louvre-Lens partage son expérience à ce sujet. Avec une vision stratégique sur les activités d’un établissement d’envergure, accueillant 482 000 visiteurs par an, il confirme la difficulté à changer auprès du grand public l’image des musées encore vus comme des lieux d’ennui, des lieux excluants.
Remettons le Louvre-Lens dans son contexte : ouvert en 2012, il fait de la décentralisation des collections nationales et de la revitalisation d’un territoire socialement et économiquement fragile un double enjeu. La connaissance des publics s’avère ici primordiale : à qui s’adresse-t-on ? Comment communiquer auprès des habitants ?
Matthieu Raoult et l’équipe du Louvre-Lens ont fait le pari de mettre le marketing culturel au service d’un rapprochement avec la population. En marge de l’exposition L’Empire des Roses, consacrée aux chefs-d’œuvre de l’art persan au XIXe siècle, le musée a organisé un week-end « Tous en rose », offrant un accès gratuit pour toute personne se présentant avec un accessoire de couleur rose. Sur le même modèle, un week-end avec des animations sur le thème des super-héros a permis de drainer un public nouveau autour de l’œuvre d’Homère. « Il faut aller vers le public, sur son terrain pour le mobiliser », explique Matthieu Raoult en citant également des liens resserrés avec la communauté polonaise à l’occasion d’une exposition sur les chefs-d’œuvre polonais ou un partenariat avec le Hellfest pour évoquer la tradition du métal de manière inattendue (et attirer les mélomanes dans l’enceinte du musée). S’adresser aux habitants avec leur culture et leurs goûts propres, casser les codes du musée, créer l’engouement sur les réseaux sociaux, nouer des partenariats… autant de ressorts utilisés dans une stratégie de marketing culturel qui ne dénature à aucun moment le propos artistique et scientifique de la visite.
S’il est primordial de s’intéresser au public, il ne faut pas oublier que des résistances aux procédés du marketing existent aussi en interne. Matthieu Raoult explique le « choc culturel » qui peut se produire entre une vision marketing du développement des publics et le discours scientifique ou institutionnel des commissaires d’expositions qui refusent de « faire entrer les marchands dans le temple ». Anglicismes et jargon marketing sont également souvent mal acceptés, il faut donc faire preuve de pédagogie, bien définir le rôle du « marketeur » et trouver un langage commun avec l’ensemble des services.
Faut-il tout simplement assumer une vision du visiteur qui est aussi, en dehors de son temps de visite, un client ? En effet, celui-ci passe par la billetterie et éventuellement la librairie-boutique et la cafétéria. Est-ce problématique ? Non, selon Mattthieu Raoult, car ces activités ne dénaturent pas le propos culturel de l’établissement. En revanche, elles viennent soutenir financièrement le fonctionnement de l’établissement, permettant d’ouvrir gratuitement et toute l’année les collections permanentes à tous les visiteurs. Il est donc essentiel d’exploiter de manière cohérente l’ensemble des activités du musée dans un objectif de développement des publics.
Pour conclure, Matthieu Raoult explique qu’il existe trois type de consommation :
Identitaire
Fonctionnelle
Expérientielle
C’est ce dernier que proposent en général les lieux dédiés à l’art, et c’est ce que tend à faire le Louvre-Lens dans en utilisant les outils du marketing culturel. Car le marketing est bien un ensemble d’outils et de méthodes qui permettent d’adresser des messages à un public précis. L’important est donc de ce que l’on décide de faire de ces outils. Au Louvre-Lens, le choix est fait de créer des liens avec la population et de chercher à fidéliser ses visiteurs.
Segmenter pour mieux rayonner
Le mot de « marketing » est très connoté dans la culture française, avec l’idée de créer du besoin là où il n’y en a pas. Qu’en est-il outre-manche ? Benjamin Lalague, responsable marketing de l’English National Ballet, nous en donne un aperçu.
Tout d’abord, il n’existe pas en Grande-Bretagne de freins internes au déploiement du marketing dans les activités artistiques et culturelles. La nécessité de trouver de l’argent pour alimenter l’activité est posée très clairement. Les recettes de l’English National Ballet sont constituées d’environ 40% de subventions publiques (comparativement nous serions entre 70% et 80% pour une structure similaire en France), somme sur laquelle la compagnie rend des comptes par un engagement social notamment.
C’est un réel jeu d’équilibriste qui conduit l’English National Ballet à produire des œuvres grand public, à vocation ouvertement commerciale, pour financer des productions plus pointues et un programme d’action culturelle. « Casse-noisette nous permet d’expérimenter des formes nouvelles et de financer des actions avec des écoles ou personnes âgées », précise Benjamin Lalague.
Pour lui, l’équipe marketing représente le public, elle observe les tendances et agit comme un médiateur, les réseaux sociaux facilitant le travail d’interaction avec le public. Son constat en faveur du marketing culturel est sans appel : « Plus le spectacle est difficile, plus il faut de budget marketing pour mieux parler aux cibles ». Loin d’être hostiles au marketing culturel, les britanniques ont créé l’Arts marketing association qui rassemble plus de 2000 adhérents et propose de nombreuses ressources (voir AMAculturehive) pour connecter le secteur culturel avec ses publics. Il n’en reste pas moins nécessaire pour le secteur de justifier ses investissements en marketing. Pour ce faire, il est coutumier de publier les résultats annuels des billetteries et d’en démontrer les retombées économiques pour le pays :
Un chiffre d’affaire de 760 millions de £ (billets vendus)
Représente 120 millions de £ reversés à l’Etat sous forme de taxes.
La technique marketing la plus utilisée en Grande-Bretagne dans le secteur culturel consiste à segmenter les publics. Des outils comme « Culture Segments » ou « Audience Spectrum » accompagnent les études des publics et aident à identifier des groupes de personnes auxquelles il sera possible de parler de manière ciblée. Il y a les abonnés fidèles, ceux qui recherchent l’expérience, ceux qui cherchent du divertissement, ceux qui ont besoin d’être guidés dans leurs choix… Adresser un email à ces derniers avec 5 bonnes raisons de voir le spectacle s’avèrera judicieux, tandis que les abonnés préfèreront choisir par eux-mêmes sur la base du programme de saison (qu’ils pourront par exemple recevoir en avant-première).
Une question se pose alors : à quel moment la création commence-t-elle s’infléchir pour répondre à une demande particulière, pour satisfaire tel ou tel public ? C’est sur cette mince frontière que les résistances françaises se font plus vives, par crainte d’un basculement qui ferait du marketing un préalable à la création. Et par conséquent un outil commercial (voir point de vigilance évoqué plus haut).
Ce que nous en retenons
De l’univers des musées au spectacle vivant, du conservatisme français aux affinités libérales britanniques, le marketing culturel propose de nombreuses applications dont il s’agit de s’enrichir tout en évitant de possibles conflits d’objectif. En conclusion, Cyril Leclerc propose de retenir les points suivants :
- Entretenir la relation : comme dans une histoire d’amour ou d’amitié, il faut s’intéresser à l’autre pour qu’il s’intéresse à nous.
- Engager des communautés : le discours descendant ne fonctionne plus.
- Proposer des expériences pour impliquer ces communautés : l’expérience culturelle est cognitive, sociale et émotionnelle.
- Chercher des portes d’entrée propres à chaque établissement ou projet pour mettre en œuvre une stratégie de marketing culturel adaptée.
- Être à l’écoute des publics pour mieux s’adapter.
La consommation culturelle s’effectue sur un temps de loisirs très précieux pour chacun. Il s’agit de respecter ce temps en se demandant : pourquoi les gens prendraient le risque de venir nous voir ? L’enjeu est donc de mettre le futur spectateur en confiance et bien sûr de lui proposer, une fois sur place, une prestation de qualité. C’est pourquoi le marketing ne doit pas fonctionner en silo mais intégrer toutes les dimensions du fonctionnement de l’organisation. Les médiateurs doivent notamment être impliqués dans la démarche pour que l’expérience soit à la hauteur de la promesse.
On peut donc considérer le marketing culturel comme une formidable boite à outils ou même… une sorte de pouvoir ! Alors, l’utiliserez-vous au service d’une noble cause ?
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