Comme nous l’avons vu récemment, le Muséum National d’Histoire naturelle travaille quotidiennement à « ancrer l’humain en nature ». Mais comment lier les actes à la parole, en menant des démarches qui « vont dans le bon sens » en terme de développement durable ? Nous avons, en marge de Museum Connections, longuement échangé avec Elsa Boromée, la conseillère en développement durable (passionnée) du Muséum.
Communicant.info : Bonjour Elsa, pouvez-vous présenter votre parcours et votre fonction ?
Elsa Boromée : Bonjour, je suis conseillère développement durable au Muséum National d’Histoire Naturelle de Paris (MNHN). J’ai fait des études scientifiques et je me suis spécialisée dans le développement durable : j’ai fait un Master d’ingénierie du développement durable à l’Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines. Depuis j’ai toujours travaillé sur cette thématique, que ce soit dans le privé (dans une entreprise du numérique et des technologies de l’information, dans l’industrie du textile et la distribution…) ou dans le public (au Muséum depuis 2014). Un référent développement durable est en mesure, quelque soit le secteur, de faire une analyse globale de l’activité d’une structure (entreprise, institutions…). Tout cela, dans le but d’impulser un changement de pratique au cœur de l’activité. C’est ce que j’essaie de faire au MNHN depuis mon arrivée.
« Des démarches qui vont dans le bon sens »
C.I : Au vu des sujets traités par le MNHN (le rapport à la biodiversité, au vivant, à l’environnement), comment celui-ci pourrait-il être un exemple pour ses visiteurs, pour sa communauté ?
EB : Je pense qu’il ne faut pas parler d’exemplarité ou de démarche vertueuse. Je n’ai pas la prétention de dire que cette démarche de développement durable soit exemplaire. Je préfère parler de « démarches qui vont dans le bon sens ». Le MNHN est un établissement scientifique et culturel. En France, les établissements d’enseignement supérieur se sont fédérés : il y a des réseaux nationaux au sein desquels, avec l’appui du Ministère de la Recherche et d’autres collectifs (étudiants et référents développement durable dans l’enseignement supérieur), nous avons créé un référentiel DDRS (Développement Durable et Responsabilité Sociétale) qui sert de guide pour appuyer la construction d’une démarche de développement durable robuste. Ce référentiel fait consensus et il est régulièrement révisé de façon collégiale par les différents acteurs (en fonction de la réglementation, des enjeux qui émergent….) tous les 3 à 5 ans. La démarche de développement durable du MNHN, en particulier la politique environnementale (sur laquelle je travaille essentiellement au Muséum), s’appuie sur ce référentiel. Nous nous engageons sur un certain nombre de thématiques au MNHN telle que la démarche « expositions responsables » : celle-ci, lancée en 2012, est issue de notre réflexion sur les conséquences de production d’expositions temporaires (dans le temps et à la gestion des déchets). Nous cherchions des solutions, pas à pas, pour tenter de freiner le phénomène de « mise à la benne » de nombreuses ressources à l’issue d’une exposition. Nous nous sommes lancés d’abord dans une logique de comptabilité en nous demandant quel était l’impact d’une exposition temporaire. Nous avons utilisé un outil d’Analyse de Cycle de Vie (ACV) nous permettant d’identifier les impacts de l’une de nos expositions. Nous avons décidé d’ouvrir le champ et de ne plus traiter le sujet des expositions responsables uniquement sous l’angle des déchets. Nous essayons de prendre le sujet non par un bout, mais d’adopter une vision globale. Avec l’aide de mes collègues, Kinga Grège, muséographe et cheffe de projet et Judith Naslednikov, muséographe et cheffe de projet adjoint, nous avons souhaité, à l’issue de cette analyse environnementale, mettre à profit les préconisations identifiées afin d’éco-concevoir l’exposition « Aux frontières de l’Humain » présentée au Musée de l’Homme jusqu’au 30 mai 2022.
Sur les démarches énergétiques, nous avons un parc qui est ancien : le MNHN est un établissement pluriséculaire avec des constructions datant du 19e siècle / début 20e siècle ou plus récemment des années 1960. Nous rencontrons donc des problématiques de maîtrise de la consommation d’énergie. Mais c’est une démarche dont je suis fière pour plusieurs raisons. D’abord, parce que, en 2016, nous avons fait le nécessaire pour que la gouvernance entende la nécessité de recruter une personne au profil spécifique pour gérer les questions énergétiques. Nous avons donc recruté un « Energy manager » (ou un économe de flux), chargé de travailler sur les questions de performance des bâtiments et de suivi de consommation d’eau. Nous avons mis en place des outils pour pouvoir mesurer nos consommations d’énergie et d’eau et détecter des anomalies quand il y en a. Ce référent est à l’interface des différentes sociétés qui travaillent avec le MNHN en terme de maintenance de notre parc et qui proposent des solutions pour mieux maîtriser nos équipements / faire des travaux…
L’objectif est d’impulser dans chaque programme de travaux de rénovation des solutions visant à
tendre vers des économies d’énergie. Mais nous devons composer avec l’existant : Il est difficile de faire tout ce que l’on aimerait (par exemple faire de la rénovation par l’extérieur) puisque les bâtiments sont classés. De ce fait, certaines actions sont ou restent limitées mais nous sommes quand même assez fier.e.s de cette démarche : elle est financée, reconnue et nous avons dessiné un programme d’économie d’énergie composé d’actions à faible retour sur investissement (10 % de réduction économie d’énergie / 2 millions d’euros dont 50% alloués par le MNHN et 50% alloués par notre partenaire)) sur les dix prochaines années qui a été voté. Les économies d’énergies théoriques sont ensuite transformées en euros et sanctuarisées sur une caisse. Cette caisse permet de rembourser l’avance faite par notre partenaire (la Banque des Territoires) qui nous a prêté les fonds. Une fois la somme intégralement remboursée à celui-ci, ces sommes seront réinvesties dans des actions nouvelles d’économie d’énergie.
« Il n’y a pas vraiment de « démarche exemplaire », cela n’existe pas »
C.I : Vous vous êtes interrogée sur l’impact d’une exposition temporaire. Mais connaissez vous celui du Muséum ? Comment mesure-t-on son impact ?
EB : Pour l’impact du Muséum, nous avons, comme plusieurs établissements, fait des bilans carbone. Nous en avons fait un en 2010 sur les données de 2008, puis en 2012 sur les données de 2010 et en 2014, nous avons fait un bilan d’émissions de gaz à effet de serre. Le MNHN est constitué de treize sites en France. Le Jardin des Plantes, si nous étions une entreprise, serait en quelque sorte, considéré comme son siège. Tous ces outils de mesure d’impact avaient été concentrés sur le Jardin des Plantes afin de voir ce qui remontait au niveau de ce site. Nous avons aussi réalisé des diagnostics environnementaux pour avoir une idée de nos impacts en terme de volume de déchets, de consommation d’eau, d’énergie. Nous avons, à l’heure actuelle essayé plusieurs solutions pour avoir une idée des externalités négatives (dommage occasionné par l’action d’une organisation à un tiers ou un milieu, sans qu’il y ait dédommagement à payer pour la nuisance occasionnée – NDR) que produisait le MNHN.
Mais jamais nous n’avions eu, jusqu’alors, une photographie globale pour les treize sites du Muséum. En 2021, nous nous sommes lancés dans un projet de mesure de l’impact des activités du Muséum et nous avons décidé de sanctuariser ce projet et d’en faire un projet référence. L’objectif est de mesurer l’impact pour au moins onze sites et de s’assurer que cette évaluation soit reproductible dans le temps, de manière à ce que l’on puisse suivre les grandes tendances. Pour ce faire, nous allons utilisé des outils classiques tel que le bilan carbone. L’idée est aussi de mesurer les impacts par activité (l’impact de la recherche, des collections, etc.) et exprimer l’impact par l’intensité (par exemple calculer le volume carbone par visiteur accueilli). Nous allons aussi utiliser un outil qui s’appelle le Global Biodiversity Score : un outil récent qui est censé permettre de mesurer l’impact des décisions d’achats sur la biodiversité. Pour en revenir aux expositions, nous avons utilisé l’ACV (Analyse de Cycle de Vie) et plus particulièrement l’outil Elodie, normalement réservé au secteur du bâtiment que nous avons détourné. Nous avons, pour cela, eu le concours du CSTB (Centre Scientifique et Technique du Bâtiment). Nous avons pu utiliser une exposition qui venait de se terminer au Muséum (« Espèce d’Ours ») et collecter la donnée nécessaire pour faire des hypothèses (comme le volume d’eau utilisé dans les sanitaires par exemple). Nous avons pu aussi avoir accès à toutes les fiches techniques des équipements de maintenance pour permettre de conserver la température dans les différents espaces de l’exposition. Et également le volume de matière qui est rentré dans l’exposition (visserie, cimaise, écrans…). A partir de ces données, nous avons pu dégager le profil environnemental de cette exposition. Cela a, par exemple, permis de dégager « le top 3 » des matériaux polluants pour nous : la moquette, le MDF (Médium ou panneau de fibres à densité moyenne), et le Dibond (une feuille d’aluminium prise en sandwich entre deux feuilles de polyéthylène). Faire l’ACV a cela d’intéressant qu’il permet de poser à plat le système que l’on regarde : vous devez détricoter chaque opération pour savoir ce que vous allez faire entrer dans votre système et qu’est ce qui va en sortir. Cela permet de se poser des séries de questions qui ont alimenté notre démarche en interne : – Nous nous sommes rendus compte que les matériaux sont polluants dans un contexte donné, mais si on trouve des solutions on peut réduire leur impact sur l’environnement. On s’est donc rendu compte qu’il n’y avait pas de mauvais matériaux. Par exemple pour la moquette, vous avez des moquettes labellisées pour lesquelles vous avez eu très peu de consommation d’eau et très peu de polluants. Il y a également très peu de moquette recyclée en France et en Europe (seulement 3 %), donc si vous trouvez une solution pour la faire recycler, vous baissez votre impact environnemental. – Nous avons constaté que, si voulions réduire notre impact sur l’environnement sur la partie des déchets, nous devions trouver des solutions pour maximiser le réemploi des matériaux. La pratique nous a montré qu’il fallait réfléchir au réemploi au moment de l’écriture du projet, de la réalisation du dessin technique. A savoir, qu’au moment ou nous réalisons les dessins techniques avec le scénographe, nous devons impliquer les associations pour discuter avec elles de ce qui pourrait être le plus intéressant pour elles en terme de réemploi dans le futur. Notre objectif est qu’à terme 100 % des expositions soient éco-conçues. Mais pour cela, aujourd’hui nous essayons des choses, nous expérimentons. Parfois même nous nous ratons… parce qu’il n’y a pas vraiment de « démarche exemplaire », cela n’existe pas… Il y a des gens qui essayent et parfois se trompent, mais aussi arrivent à lever des freins, à mettre en place des solutions qui relèvent du bon sens.
« Orienter les choix en terme d’impact »
C.I : Si on résume, il n’y a pas de démarche exemplaire et il vaut mieux se tromper en expérimentant que de ne pas agir ?
EB : C’est tout à fait ça. Il faut expérimenter. Surtout dans un établissement « de sciences » comme le nôtre ou l’expérimentation ne fait pas peur. Il faut toutefois modérer le propos. Il faut expérimenter de façon mesurée… Mais de préférence en étant accompagné par un référent développement durable, formé sur ces questions. C’est un métier auquel je crois beaucoup. Pour moi c’est un métier passion, qui a beaucoup de sens. On ne voit pas toujours que le développement durable est quelque chose de complexe, et donc nécessite une expertise. Le référent développement durable est en mesure d’accompagner la transition environnementale des entreprises ou des institutions et d’aider aux prises de décisions, avec des interrogations simples, pour orienter les choix en terme de gestion des impacts. Cela permet d’éviter de trop se tromper, d’éviter des écueils triviaux..
C.I : Auprès de vos publics, vous utilisez le numérique qui est un formidable outil de sensibilisation notamment dans vos expositions, mais ces outils ne sont pas sans impacts, sans conséquences sur l’environnement. Comment arrivez-vous à concilier ces deux aspects ?
EB : Aujourd’hui, c’est effectivement une réalité, les établissements ont de plus en plus recours au
numérique, pour proposer des expositions plus immersives, qui peuvent parler à toutes les générations. Des expositions qui permettent également d’attirer d’autres catégories de publics….
Mais en parallèle, il y a cette consommation grise que l’on ne voit pas, que ce soit l’énergie mais aussi les ressources (des matériaux qui ne sont pas toujours extraits dans des conditions idéales). Sans compter qu’en fin de vie, en terme de gestion des déchets, cela peut avoir une incidence. On ne peut pas nier cet impact, mais on peut mettre en place certaines pratiques pour le limiter. Par exemple sur l’exposition « Aux frontières de l’humain », pour réduire l’impact du numérique, nous avons optimisé le parc de matériel d’éclairage et d’équipements informatiques (écrans) existants et opté pour de la location pour le matériel supplémentaires dont nous avions besoin. Une fois que l’exposition est terminée, le prestataire les a récupéré pour leur donner une seconde vie. Du coup, nous sommes passés à l’économie de la fonctionnalité (économie qui remplace la vente de matériel par la vente de services – NDR). C’est beaucoup plus intéressant car vous ne faites pas reproduire de la matière pour votre usage et qui est ensuite « mise en benne ». Vous éludez aussi la question du stockage qui coûte de l’argent, de l’énergie…