Le secteur culturel prend petit à petit conscience des défis écologiques qui l’attendent et commence peu à amorcer des changements…
Mais comment mettre en place une démarche de transition dans une structure culturelle ? La tâche peut paraître ardue voire insurmontable… Pour nous apporter des éléments de réponses, nous avons interrogé l’équipe du collectif « Les Augures » qui sera présent au Forum entreprendre dans la culture* la semaine prochaine.
Communicant.info : Votre leitmotiv / slogan est « la culture fait sa transition ». Justement comment imaginez-vous cette transition ?
L’équipe des Augures : Plus qu’un leitmotiv, “la culture fait sa transition” est un constat. Partout dans le monde, et notamment en France, des artistes alertent sur la menace climatique, des professionnels se mobilisent pour réduire les impacts négatifs de la culture sur l’environnement, des institutions lancent des stratégies de transformation écologique et sociale de leur organisation. C’est ce mouvement que le collectif Les Augures accompagne, pour doter le secteur culturel de méthodes, d’outils conceptuels et techniques de réduction des impacts. Le collectif anime et parfois fédère des groupes de travail pour favoriser le partage d’expérience entre acteurs culturels engagés. Insistons sur ce point : la transition sera collective car elle repose sur la mutualisation des ressources et la transmission d’expertise. Aujourd’hui, cette transition est discrète mais nous l’imaginons massive. Comme toute activité humaine, la culture génère des émissions de gaz à effet de serre et des déchets, notamment dus aux infrastructures permanentes ou temporaires, à l’alimentation, aux déplacements, aux usages numériques et aux déchets. La culture est la troisième cause de mobilité des Français et compte plus de 50 000 bâtiments, générateurs d’émissions de gaz à effet de serre pour les chauffer et les climatiser. C’est non seulement la pérennité du secteur et de ses activités qui est en jeu, mais également l’acceptabilité ou non des impacts générés de la part d’un public de plus en plus informé, concerné et engagé dans la transition écologique.
« Le secteur culturel dispose d’un grand atout dans cette démarche »
C.I : Comme de nombreuses organisations, les acteurs culturels peuvent se sentir submergés par de nombreuses interrogations au moment d’amorcer cette transition…
L’EDA : Par quel bout peuvent-ils amorcer ce changement ? Amorcer la transition écologique d’une organisation culturelle peut apparaître comme une montagne à gravir mais elle nécessite surtout la mise en place d’une méthodologie rigoureuse. Si nous n’intervenons pas avec des solutions toutes faites pour produire une liste de prescriptions, nos actions visent surtout à donner aux organisations culturelles les moyens de penser une trajectoire de transition qui leur est propre et de la transformer en plan d’action opérationnel. Chaque organisation aura sa manière de commencer : à partir d’un projet (la production d’une exposition), d’un sujet qui tient à cœur à l’équipe (les déchets, le numérique), ou bien encore la volonté d’une direction de mettre en place une démarche globale de RSE. Quelle que soit la démarche, les questionnements et les grandes étapes sont toujours les mêmes : où on en est ? Où veut-on aller ? Que doit-on faire pour y arriver ? Avec quels moyens ? Quand et pendant combien de temps ?
C.I : La transition écologique d’un lieu culturel peut sembler plus contraignante qu’autre chose… Arrivez-vous cependant à y voir des opportunités ?
L’EDA : Le secteur culturel dispose d’un grand atout dans cette démarche. Il sait travailler dans des cadres de contraintes. Qui mieux que les organisations culturelles pour réussir à produire les projets les plus monumentaux dans des budgets toujours trop petits, des calendriers trop courts et des conditions de sécurité et d’hygiène strictes et complexes ? La transformation écologique peut apparaître comme une contrainte en plus, là où en réalité, si elle est prise et construite pour être justement transformatrice, elle constitue une formidable, voire nécessaire, opportunité d’innover et de s’adapter au monde qui vient. Une démarche de transformation a pour objectif premier de projeter une organisation dans un futur plus ou moins éloigné (et, il est difficile de l’ignorer, peu souhaitable) et de lui permettre d’envisager sa trajectoire : tendre vers le zéro-déchet, des productions bas-carbone, la sobriété, etc. Derrière cette transformation, des coûts et des processus sont optimisés, des équipes sont formées, responsabilisées, engagées, des artistes sont impliqués et accompagnés, des acteurs locaux sont mobilisés, des activités et des décisions sont mesurées et évaluées, des publics sont incités à venir différemment, de nouveaux acteurs économiques sont sollicités, etc. C’est le rôle-même de l’organisation culturelle, sa raison d’être, qui peut être amenée à évoluer, à s’adapter. Une raison d’être qui parvient à synthétiser (là où on a tendance à opposer) la responsabilité vis-à-vis de la fragilité et de la précarité des travailleurs du secteur culturel et des artistes, mais aussi des moyens donnés à la liberté de création, avec la responsabilité vis-à-vis de l’état de la planète. Faire sa transition, se transformer, c’est fondamentalement accepter et intégrer la complexité ! Nous pourrions vous citer des dizaines d’opportunités à se transformer mais nous préférons insister sur la responsabilité morale et citoyenne de chacune et chacun d’entre nous à penser, réduire et maîtriser l’impact de nos activités, tant dans le cadre de nos métiers que celui des différents aspects de nos consommations culturelles (touristiques, numériques, etc). Et c’est d’autant plus intéressant de le faire dans le secteur culturel où coexiste un double mouvement qui nous permet de penser cette transition. D’un côté les artistes sont des lanceurs d’alerte et construisent des récits qui participent à la sensibilisation du public, dans des organisations culturelles qui sont elles-mêmes les caisses de résonances des enjeux sociétaux (“l’art de l’écologie”). De l’autre côté, il est passionnant d’analyser ce qu’une démarche écologique ou RSE fait aux œuvres, aux formes, aux pratiques, aux métiers et aux organisations, comment elle leur permet de se transformer et se préparer au monde qui vient (“l’écologie de l’art”).
« Une démarche de transition réussie repose sur l’encapacitation de chacune et chacun plutôt que sur la prescription d’une liste de changements à faire »
C.I : Une démarche de transition ne suppose-t-elle pas de revoir son organisation interne ? Un organisation culturelle fonctionnant selon modèle pyramidal peut-elle, par exemple réussir une démarche de transition ? Ou doit-elle devenir plus souple, plus « agile » ?
L’EDA : Une démarche de transition comprend l’examen de toute la chaîne de production culturelle, depuis la création de l’œuvre jusqu’à sa diffusion. Elle concerne toutes les activités d’une organisation culturelle, depuis la programmation, la production, la diffusion, la communication en passant par la conservation et la relation aux publics. C’est une démarche qui ne peut réussir que si elle est menée de manière transversale à l’organisation. La méthodologie des Augures repose sur une approche collaborative. Nous proposons des formats d’auto-diagnostic pour que tous les membres d’une équipe puisse prendre conscience de leurs pratiques et de leurs impacts; nous animons des ateliers de sensibilisation pour que toutes les directions partagent un même constat ; nous orchestrons l’écriture collaborative de trajectoires de transition afin que la vision de la transformation soit également partagée et désirée au sein des organisations. Une démarche de transition réussie repose sur l’encapacitation de chacune et chacun plutôt que sur la prescription d’une liste de changements à faire qui risqueraient d’être mal perçus et mal intégrés par des équipes déjà surchargées de travail. Oui, il faut s’adapter, renoncer et innover et c’est un changement profond de culture et des modes de faire ! S’il est vrai qu’il faut de la souplesse pour réussir sa transition, il faut aussi un leadership déterminé qui a la charge d’initier la démarche, d’en assurer le pilotage, d’en mesurer le succès. Ce pilotage peut-être fait par la direction mais il peut aussi être porté de façon collégiale par un comité ouvert.
C.I : De nombreuses initiatives voient actuellement le jour comme ARVIVA, We Are Museum, ou le collectif R2D2 pour les festivals… Est-ce un signe que cette transition est en cours ?
L’EDA : La multiplication de ces initiatives révèle en effet un véritable besoin d’accompagnement et de transformation d’un secteur composé d’acteurs hétérogènes. Depuis notre lancement il y a plus d’un an, nous avons reçu un accueil enthousiaste de la part des organisations mais aussi des collectivités comme la Ville de Paris qui œuvre pour fédérer les acteurs culturels autour d’enjeux de taille tels que l’économie circulaire ou la sobriété numérique. On voit aussi se multiplier des groupes de travail sur les enjeux propres au secteur tels que les matériaux, le réemploi, les transports des œuvres, les tournées etc. Ces groupes, composés de la diversité des métiers de la culture, permettent au secteur de se fédérer, de se partager les problématiques communes et d’expérimenter des solutions et des outils. Si on voit apparaître des organisations dédiées à la transition du secteur, notons que de grandes institutions culturelles passent également le pas d’une démarche RSO comme le Palais de Tokyo ou encore le Palais des Beaux-Art de Lille. Le tout est de faire comprendre qu’entreprendre une transition dans son organisation nécessite de prendre le temps, de repenser son fonctionnement, son agenda, de manière parfois assez radicale. On sent une volonté de changement mais les organisations ne réalisent pas toujours l’ampleur du travail à entreprendre. C’est la raison pour laquelle nous nous sommes créées afin d’aider le secteur culturel à se préparer.
*