Culture soutenable

« Chacun se sent désormais concerné et agit » – Entretien avec Euxane de Donceel* (Opéra de Lille)

La RSE ou RSO (Responsabilité Sociétale des Entreprises / des Organisations) peut se définir par la responsabilité des entreprises / organisations vis à vis des effets qu’elles exercent sur la société.

En fonction des activités qu’elle mène, des décisions qu’elle prend, en tenant compte de ses parties prenantes (personnes morales ou physiques impactées par ces activités et décisions), une organisation culturelle peut contribuer à une société plus soutenable.
L’Opéra de Lille est le premier opéra français à obtenir le label ISO 20121, qui valide son engagement sociétal et environnemental. Mais l’obtention de ce label est le fruit d’un travail de plusieurs années. Nous avons échangé avec Euxane de Donceel, directrice administrative qui a bien voulu nous retracer les étapes de ce parcours…

« Être conscient de son impact sur la société et l’environnement »

Communicant.info : Bonjour Euxane, pouvez-vous nous expliquer les enjeux qui vous ont poussé à développer une politique RSE ?

Euxane de Donceel : L’Opéra de Lille ne peut ignorer que l’existence d’un établissement public dédié à l’art lyrique est conditionnée à sa capacité de répondre aux besoins de la société et de se réinventer continuellement.
Un opéra du 21e siècle doit non seulement tirer le meilleur parti des innovations technologiques en les mettant au service de la création artistique, mais il doit également être conscient de son impact sur la société et l’environnement. Dès 2015, une quinzaine de salariés de l’Opéra de Lille a souhaité réfléchir à l’impact de notre activité et à la mise en place d’actions concrètes pour transformer les pratiques individuelles et collectives, dans le cadre d’une démarche citoyenne de développement durable. Réunis au sein du « groupe DD » (DD est le nom donné à L’Opéra de Lille à notre politique RSE), ils ont pu notamment :
– Mettre en place des dons de décors et costumes à des compagnies régionales (20 tonnes de décor et 40 mètres linéaires de costumes donnés en 2019-2020), de matériel bureautique et informatique inutilisé à des associations d’étudiants démunis

Dons de costumes par l’Opéra de Lille

– Faire la chasse au gaspillage alimentaire et organiser la redistribution à des associations
– Instaurer le recours au vrac et bio pour le catering des artistes
– Distribuer des gourdes Gobi aux salariés et aux 300 enfants des ateliers Finoreille (ateliers de pratique vocale pour enfants, implantés dans des secteurs de la région culturellement ou socialement plus éloignés de l’Opéra) pour limiter la consommation de bouteilles en plastique jetables
– Supprimer des gobelets en plastique à usage unique
– Mettre en place un contrat de fourniture d’électricité verte
– Enclencher le remplacement de 100 projecteurs et lampes par des LED, le retrait de 69 plafonniers
– Participer à l’optimisation de la consommation de chauffage et de la production d’eau chaude.

D’abord axée sur la réduction de notre impact environnemental, la démarche s’est développée en lien avec le projet de l’Opéra qui vise à favoriser l’ouverture à tous les publics et à proposer à ses salariés un environnement de travail sûr, inclusif et épanouissant. Ainsi, d’autres actions réalisées ces dernières années peuvent être citées comme :
– Une politique tarifaire adaptée
– La création et le développement de Finoreille
– La mise en place de Bus-Opéra (transport facilité et accompagnement privilégié pour des publics isolés)
– L’accessibilité : audiodescription des spectacles, dispositifs sonores augmentés, visites tactiles de décors, visites en Langue des Signes Française
– La mise en place d’un accord d’entreprise sur l’égalité professionnelle femmes/hommes (index à 99/100 pour 2020)
– Des actions en faveur de l’emploi des personnes en situation de handicap ou de réinsertion professionnelle : manutentions, déchargements, repas internes avec ESAT (établissement et service d’aide par le travail)
Tout cela a permis de constituer le socle d’une politique de développement durable qui s’est inscrite progressivement dans le fonctionnement de l’Opéra. Par ailleurs, là aussi grâce à des salariés volontaires, l’Opéra de Lille a fondé en 2017 avec 4 autres institutions culturelles des Hauts-de-France le « Cercle Culture et Développement Durable de la région Hauts-de-France ». Il s’agit d’un espace d’échanges et de réflexion sur les pratiques écoresponsables et solidaires dans le secteur du spectacle vivant. Le cercle est désormais constitué de 13 membres ayant signé une déclaration commune de missions et de valeurs, qui se retrouvent tous les 2 mois pour des rencontres thématiques autour de l’écologie, de la mobilité, de la parité, de la diversité etc.

C.I : Vous avez choisi d’obtenir un label RSE (ISO 20121). Pourquoi et comment avez-vous choisi celui-ci parmi les différents labels proposés ?

EDD : Dans une volonté d’amélioration continue et afin d’inscrire notre engagement dans le temps et poursuivre son infusion dans l’ensemble de notre fonctionnement, de tous nos métiers, nous nous sommes lancés dans une démarche de certification avec la norme ISO20121 : il s’agit d’une norme internationale qui vise à donner un cadre méthodologique à la démarche RSE des acteurs du secteur événementiel.
Elle permet de structurer leur politique de développement durable. Nous avons souhaité obtenir une certification internationale à la fois pour valoriser le travail entrepris par les salariés depuis 2015 mais aussi pour structurer notre démarche et enclencher un dialogue plus important sur « DD » avec l’ensemble de nos parties prenantes.

« Développer le dialogue avec l’ensemble de ces parties prenantes »

C.I : Que vous apporte cette labellisation? Quelles ont été les étapes les plus contraignantes ?

EDD : La certification, dont il ne faut pas négliger le temps important nécessaire pour la préparer, nous a permis de définir précisément notre politique « DD » et d’identifier nos axes et nos enjeux de travail, au sein d’un plan d’actions sur 5 ans. Nous y suivons dans cette démarche d’amélioration continue les objectifs à atteindre, les échéances et jalons intermédiaires, en lien avec les responsables d’actions, et en nous évaluant régulièrement grâce à des indicateurs de performances, et en nous positionnant sur des échelles de maturité.
De plus, cette labellisation nous a permis de faire connaitre notre démarche au-delà de notre équipe en interne : artistes, publics, collectivités, partenaires, fournisseurs etc ; nous pouvons désormais développer le dialogue avec l’ensemble de ces parties prenantes afin de répondre à leurs attentes, créer de nouvelles passerelles, générer des échanges de bons procédés, d’idées, de projets pour une amélioration continue partagée. Par ailleurs, la préparation s’est faite de fin 2019 jusqu’à l’audit en février 2021, soit pendant quasiment toute la crise sanitaire, ce qui n’a pas facilité les échanges avec les salariés ou la consolidation des documents, mais nous y sommes parvenus. Nous sommes actuellement dans la 1ère année de certification, et donc dans un temps d’appropriation des différents outils créés pour répondre aux exigences de la norme. Nous expérimentons le cadre que nous avons construit en nous reconcentrant à nouveau le plus possible sur la réalisation d’actions concrètes.

C.I : On imagine qu’une telle démarche doit impliquer des changements dans votre manière d’agir au quotidien… Comment votre équipe a-t-elle été impliqué dans l’appropriation de ces derniers ?

EDD : L’équipe est sensibilisée à notre démarche « DD » depuis le lancement de la démarche il y a plus de 5 ans. Et nous remarquons, notamment lors de recrutement de nouveaux salariés, que chacun se sent désormais concerné et agit. Pour la norme, pendant toute la durée de préparation, nous avons fait des points réguliers lors des réunions d’équipe ou dans la newsletter interne pour expliquer qu’elle était cette norme, pourquoi nous la sollicitions, ce qu’elle allait changer ou non dans notre quotidien. En l’occurrence, la norme correspond à un cadre méthodologique qui ne doit pas devenir une contrainte dans la réalisation du travail et des actions « DD » des salariés. C’est un outil de suivi et d’évaluation.
Par conséquent, nous avons insisté pour que justement les éventuels changements soient mineurs pour la majorité des salariés afin qu’ils continuent de partager leurs idées « DD », de contribuer à leurs mises en place. Le concret doit rester prépondérant. Nous avons surtout souhaité qu’ils se saisissent le plus possible de la définition de notre politique « DD », des 3 axes définis et des enjeux prioritaires identifiés. C’est à l’endroit du pilotage « DD » que l’impact est le plus fort : la coordination et l’animation de la politique « DD » ainsi que le suivi de la norme nécessitent énergie et temps si nous souhaitons réaliser nos ambitions.

* Euxane de Donceel interviendra aux Rencontres Nationales ARVIVA le 1er décembre 2021.

Auteur
Je m’appelle Cyril Leclerc. Je propose, en tant qu’indépendant, du conseil et de l’accompagnement en communication dans les domaines culturels et artistiques. Diplômé en Histoire de l’Art et en Ingénierie culturelle, je me suis, au fil de mon parcours, spécialisé dans la communication culturelle, jusqu’à en faire mon métier. J’ai notamment été pendant sept années, chargé de la communication culturelle à l’Abbaye aux Dames, la cité musicale (Saintes – France). Je m’intéresse particulièrement à la façon dont on peut mettre les outils marketing au service de projets culturels et comment la communication peut enrichir un projet culturel, lui apporter du sens…