Comment engager les publics d’exposition autour de contenus qui touchent aux questions environnementales ? C’était la question posée lors d’une table ronde organisée par Museum Connections cette année, animée par Ronan de la Croix de Change Now, autour duquel ont échangé Célia Bachmann du Stapferhaus de Lenzbourg (Suisse), Josephine Chanter, Director of Audiences au Design Museum de Londres, et Sebastian Mall, membre du réseau Reflekt, Co-curator au Musée de la Communication de Francfort et Berlin.
Les expositions qui traitent d’écologie ou de biodiversité prennent le risque de laisser à distance des publics qui peuvent se sentir excessivement sollicités par ces questions, ou qui considèrent ces sujets comme déprimants. Comment les intéresser, voire les mobiliser, en faisant passer des messages forts ? Un atelier qui réunit trois curateurs d’exposition particulièrement affutés et créatifs et dont les visées se rejoignent : pour créer de l’attention et de l’implication, il faut créer de l’émotion afin que le public se projette activement dans le propos.
L’immersion et l’émotion au cœur du dispositif d’expérience
Sébastien Mall rappelle que les sujets liés aux questions environnementales peuvent laisser indifférents, non par manque d’intérêt, mais par manque d’empathie – comme si les informations glissaient sur ceux qui n’en subissent pas encore assez concrètement les conséquences. Pour lui, impliquer, c’est immerger littéralement le public dans l’exposition, le marquer dans sa chair en quelques sortes, pour permettre à l’exposition de résonner et d’activer en lui une réaction. Celle-ci devient alors lieu et source de dialogue et ouvre des perspectives, sur un sujet où la parole politique a perdu de sa valeur – notamment pour la jeune génération. À l’origine de l’exposition Klimat_X présentée au Musée de la Communication de Francfort, qui traite de la communication autour de la crise climatique, une question : comment faire franchir le pas du savoir à l’action ? Et une réponse apportée : seul l’engagement émotionnel le permettra. Tout contribue donc dans le parcours à en provoquer, puis à interroger l’émotion produite chez le visiteur par le prisme de son vécu personnel. L’exposition débute par une évocation de la Mission Apollo et la projection de photographies de la Nasa montrant la terre vue de l’espace, pour favoriser une première prise de conscience face à l’image objective d’une maison-planète fragile et malmenée. Au cours du cheminement, le visiteur est invité à se mettre dans la peau d’un animal de son choix et à se laisser traverser par des émotions imaginaires, opérant alors un déplacement perceptif sensible. Une autre salle l’interroge plus directement sur ses émotions propres face au bouleversement du monde. Des pionniers de l’engagement climatique témoignent du moment d’« Épiphanie » à la source de leur engagement. L’exposition se clôt sur les perspectives d’avenir et les témoignages fictifs d’humains vivant en 2045 – une image virtuelle de ville futuriste écoresponsable rappelle qu’un avenir meilleur est possible. En parallèle, des associations et ONG proposent des ateliers.
Realutopien, Utopische Welten.
Ouvrir, pas à pas, au dialogue…
Le Stapferhaus de Lenzbourg défend la même invitation au dialogue et à l’action, avec là aussi une attention toute particulière portée à la jeunesse. C’est également dans une visée d’immersion du visiteur dans le propos que l’équipe a travaillé sur l’exposition La Nature. Et Nous ? Celle-ci interroge la façon ambivalente dont nous percevons et ressentons le concept de nature : qu’est-ce que la nature ? Jusqu’où la nature nous rassure-t-elle, quand devient-elle hostile ? À qui appartient-elle ? Pouvons-nous l’organiser et l’exploiter à l’envi ? Désirons-nous vraiment la sauver ? Sur le parcours, des médiateurs postés ouvrent pas à pas au dialogue. Le visiteur s’aventure pieds nus sur du sable afin de se sentir au plus proche du sol et pour simuler un équilibre de condition et d’appartenance à la terre. Il est invité à utiliser tous ses sens pour rendre plus concrètes les informations délivrées. Un espace l’invite à se mettre dans la peau d’un animal, un autre à dialoguer avec un basilic. Tout le long équipé d’une boussole (avec une puce RFID), il répond à des « sondages » qui en fin d’exposition permettront de le situer au regard des quatre « profils » d’humains déterminés en fonction de leur appréhension du monde naturel : les « Holistiques », les « Informés », les « Technologiques », et les « Indifférents » – cette projection ouvrant là encore au dialogue intérieur comme au dialogue avec les autres.
Affiche de l’exposition : La Nature. Et nous ? à la Stapferhaus de Lenzbourg.
Apporter du sensible et de la nuance
Enfin, au Design Museum de Londres, le design vient apporter du sensible et de la nuance aux sujets investis, ouvrant au dialogue sur des grandes questions sociétales.
L’exposition Précieux déchets, présentée à la Cité des Sciences à Paris, montre comment les déchets peuvent devenir des ressources précieuses pour les jeunes générations de designers qui en révèlent l’utilité concrète et la valeur refoulée. L’exposition interpelle la conscience comme la créativité de chacun.
Pour finir, Ronan De La Croix interroge sur l’importance de l’empreinte carbone au moment de la conception des expositions : choix des matériaux, transport… Comment faire coïncider propos et production afin qu’ils relèvent d’une même démarche ? Josephine Chanter souligne que si cette question essentielle se pose sur toutes les créations d’exposition, elle reste en chantier et les réponses non encore satisfaisantes, notamment pour les expositions nomades particulièrement énergivores.