Scénographies, décors, œuvres d’art… Le monde de la culture est un grand consommateur de ressources qui sont parfois utilisées de façon éphémère, sans se poser la question de leur réutilisation ultérieure. Pourtant le modèle de l’économie circulaire pourrait s’appliquer à ces matières utilisées.
C’est le projet de la Réserve des Arts où chaque déchet est considéré comme une ressource et où l’on voit « le réemploi comme une « opportunité créative ». Rencontre avec Charlène Dronne, responsable de la communication de l’association.
Communicant.info : Bonjour Charlène, pouvez-vous nous présenter La Réserve des Arts et les raisons qui ont conduit à sa création ?
Charlène Dronne : La Réserve des Arts est une association créée en 2008 dans les pas du Grenelle de l’Environnement, qui accompagne le secteur de la Culture et de la Création dans le développement de l’économie circulaire et solidaire, et l’appropriation du réemploi de matériaux. Sa mission se structure autour de quatre activités : sensibiliser les professionnel·les et étudiant·es à l’appropriation durable des pratiques du réemploi, collecter auprès des entreprises et institutions culturelles les rebuts réemployables, pour les valoriser et les redistribuer à tarif solidaire à ses adhérent·es. Elle propose aussi des formations à l’éco-conception et l’éco-fabrication en bois et en cuir. L’association est présente sur le territoire national et dispose de trois antennes à Pantin, à Paris 14e et à Marseille 15e. elle emploie aujourd’hui 35 salariés.
Deux passionnées d’art contemporain et d’écologie, Sylvie Bétard & Jeanne Granger sont à l’origine du projet. Elles poursuivent un même objectif : agir pour l’environnement tout en soutenant la création artistique. En 2008, elles se retrouvent autour du Projet K, à l’espace Krajcberg du musée Montparnasse. Frappées par l’engagement du sculpteur Krajcberg en faveur de l’environnement, elles montent un programme de sensibilisation sur les relations entre art contemporain et écologie. Un double constat s’impose alors : d’un côté, les entreprises cherchent à se débarrasser de leurs déchets, de l’autre, les professionnel·les de la création ont constamment besoin de matériel de récupération pour réaliser leurs œuvres et projets. Sylvie & Jeanne décident de fonder une structure originale pour réunir les deux acteurs. Elles découvrent « Materials for the Art », une organisation new-yorkaise à but non lucratif qui récupère des matériaux pour le secteur de la culture et de l’éducation. Le duo décide d’adapter l’idée en France et crée La Réserve des Arts à Paris.
« Le secteur des arts et de la création au sens large produit des objets à vocation souvent éphémère avec des matériaux utilisés parfois dans un temps extrêmement court «
Communicant.info : Le monde des Arts et de la Création semble être lui aussi régi par le paradigme d’une économie linéaire (je prends, je consomme, je jette) : avez-vous une idée de la quantité de déchets qu’il peut générer ?
Charlène Dronne : Il est difficile de trouver des chiffres précis à ce sujet, tant les termes d’Art et de Culture sont vastes. Les problématiques ne sont pas les mêmes selon le type de production (exposition, festival, concert, édition, cinéma, etc) Il y a deux aspects ici : la consommation d’énergie nécessaire à la production d’évènements artistiques et culturels d’une part ; et le besoin en matériaux d’une autre part. Comme l’explique le rapport final du Shift Project (« Décarbonons la Culture – Dans le cadre du plan de transformation de l’économie française »), le secteur artistique et créatif n’est pas directement le plus polluant si l’on compare avec celui de l’industrie et des transports. Pourtant il consomme lui aussi une importante énergie notamment pour les transports et l’éclairage. En plus des besoins en électricité, on fait venir de loin non seulement des matières mais aussi des œuvres, des artistes (pour une exposition, un festival) ce qui alourdit le bilan carbone de chaque évènement.
Par ailleurs, le secteur des arts et de la création au sens large produit des objets à vocation souvent éphémère, avec des matériaux parfois utilisés dans un temps extrêmement court – par exemple pour des évènements comme un défilé, un show ou une installation artistique….La destination des matières utilisées n’est pas toujours anticipée, ce qui compte c’est l’instant T, la représentation, l’« objet » fini – ce qui est bien évidemment problématique en terme de déchets. Puisque l’on n’a pas prévu – logistiquement et financièrement – de les traiter ensuite, ils partent à la poubelle. Bien que certains créateurs soient dans une démarche de réemploi depuis quelques temps, nous étions jusqu’alors dans un usage quasi unique des éléments pour beaucoup de productions. De la même manière, dans des secteurs comme la Mode et le Luxe, c’est la perfection qui est recherchée dans chaque pièce. On conserve le fragment le plus précieux de la matière, que ce soit du cuir ou du tissu, mais le reste est « écarté » car il n’est pas toujours réutilisé directement et cela produit des chutes qui ne sont que rarement valorisées en interne.
C’est à ces différents endroits que La Réserve Des Arts intervient et fait valoir sa mission. L’association a collecté en 2020 près de 700 tonnes de matériaux (bois, cuir, textile, métal, moquette, etc), issues de décors, échantillons de matières, PLV, stocks dormants ou encore scénographies d’exposition, auprès de Partenaires du secteur de la culture et de la création (muséographie, mode, luxe, agences d’architecture, éco-lieux, agences de production événementielle, écoles d’art, fondations, etc).
Les matériaux de réemploi, après valorisation, sont remis à disposition de plus de 8 000 adhérent.e.s de l’association, tou.te.s professionnel.le.s ou étudiant.e.s du secteur de la culture, de la création et de l’artisanat. 50% de ces adhérent.e.s sont étudiant.e.s , 15% sont auto-entrepreneur.se.s et 13% sont des artistes. Les demandeur.se.s d’emploi en reconversion professionnelle vers des métiers de la création et de l’artisanat représentent 7% des adhérent.e.s de l’association. La représentativité des métiers est très variée, une soixantaine en tout ; dont créateur.rice, architecte, couturier.ère, designer, dessinateur.rice, menuisier.ère, artiste, photographe, plasticien.ne, scénographe, styliste, set designer, maroquinier.ère, régisseur.se, costumier.ière, galériste, etc.
« Apprendre à considérer chaque déchet comme une éventuelle ressource qui peut être réutilisée, détournée pour un nouvel usage »
Communicant.info : Pour La Réserve des Arts, « un déchet = une ressource ». Comment faire comprendre aux artistes, scénographes, muséographes qu’il faut qu’ils changent leur façon de procéder ?
Charlène Dronne : Il faut effectivement leur apprendre à considérer chaque déchet comme une éventuelle ressource qui peut être réutilisée, détournée pour un nouvel usage. Pour cela il faut les sensibiliser à ce qu’implique une création de sa conception à sa finalité et ce qu’elle devient ensuite. Il faut les former et aussi les accompagner par étapes – leur proposer des solutions concrètes pour arriver à penser la création autrement dès sa conception – avec des matériaux issus du réemploi, avec moins de matières, etc.
Pour accompagner la création de manière plus durable, l’association cherche à systématiser la démarche du réemploi en professionnalisant ce secteur dans un objectif de faire du réemploi un savoir-faire constitutif de l’excellence culturelle française.
Les professionnel·les du secteur culturel et créatif ont l’imaginaire, les compétences et le savoir-faire pour réduire leur impact environnemental. En s’orientant de plus en plus vers des pratiques d’éco-conception, éco-fabrication, éco-montage en vue de réutilisation ou réemploi, ils et elles démontrent leur envie de travailler différemment pour une culture toujours plus durable et responsable. A son niveau, l’association propose une plateforme logistique qui permet aux adhérent·es de se procurer des matières à moindre coût, un accompagnement sur mesure pour ceux·lles qui en ont besoin, un accès à des ateliers pour mettre en pratique… Le tout encadré par des professionnel·les du réemploi – qui sont pour la plupart également artistes. L’enjeu réside également dans la formation des acteurs du secteur ainsi que dans la sensibilisation des futures générations d’artistes à travers l’adaptation des programmes pédagogiques et l’intégration des notions et pratiques de réemploi dans leur contenu.
« On utilise les matériaux du monde d’avant pour créer le monde nouveau »
Communicant.info : Quelle réponse pourrait-on donner à ceux qui voient le réemploi plus comme une contrainte que comme une opportunité ?
Charlène Dronne : Je citerai à nouveau le rapport final du Shift Project (« Décarbonons la Culture – Dans le cadre du plan de transformation de l’économie française ») « Il ne s’agit pas de raccourcir les idées, mais les distances parcourues » Il faut en effet voir le réemploi comme une « opportunité créative ». Cette opportunité créative était le sujet d’une table ronde organisée par la Fédération de la Haute Couture au 36e Festival International de Mode et de Photographie, à Hyères en octobre 2021. La responsable de l’antenne marseillaise de La Réserve, Louisane Roy, y disait très justement : « On utilise les matériaux du monde d’avant pour créer le monde nouveau ».
Quand on vient à La Réserve Des Arts, on s’inspire de l’existant, on cherche à créer avec ce que l’on trouve, ce que l’on a sous les yeux tout en le détournant, plutôt que de chercher un matériau précis qui correspondrait à une attente préconçue. C’est l’occasion d’utiliser des matières auxquelles nous n’aurions pas pensé en amont.