Dérèglement climatique, crise sanitaire de la COVID 19, extinction de la biodiversité… les menaces qui pèsent sur notre environnement sont bien réelles… Et demain, si l’on en croit le dernier rapport du GIEC, les conséquences pourraient être plus importantes si l’humanité ne revoit pas son paradigme de développement. Mais que peut le monde culturel à cela ? Comment peut-il se projeter vers un objectif qui participerait à inverser la courbe de ces changements environnementaux ? C’était le thème de l’après-midi du 30 septembre, clôturant le Forum Entreprendre dans la Culture.
Des défis environnementaux à relever dès à présent…
De prime abord, le secteur culturel pourrait apparaître comme un secteur ayant peu d’impact sur l’environnement. Or d’une part, la question se pose au delà de l’écosystème culturel : « il s’agit de l’avenir de humanité » comme l’a affirmé Olivier Lerude, haut fonctionnaire au développement durable au Ministère de la Culture. Et d’autre part, si l’on se base notamment sur le rapport intermédiaire du Shift Project (Décarbonons la Culture – Mai 2021), cité par Camille Pène du collectif Les Augures, en introduction de cette après-midi, le secteur culturel mobilise de nombreuses activités polluantes / émettrices de carbone, dont :
. Le transport et la mobilité : la culture et les loisirs sont la troisième source de mobilité des français juste derrière le travail et les achats.
. L’alimentation est un poste essentiel d’émission de gaz à effet de serre (GES) – notamment les événements culturels -, le rapport cite, à titre d’exemple, un festival comme les Vieilles Charrues qui en 2019, consommait 9 tonnes de viande. Depuis, la fréquentation a augmenté de presque 50 %. On estime l’impact carbone de l’alimentation sur un festival de cette envergure entre 2000 et 4000 tonnes d’équivalent CO2.
. Le bâtiment et l’énergie : la Culture ce sont aussi de nombreux équipements scéniques, muséaux, patrimoniaux… Autant d’infrastructures qui consomment de l’énergie. Le rapport estime qu’une Scène Nationale peut consommer : jusqu’à près de 1000 MWh par an d’électricité pour son éclairage, sa climatisation et le fonctionnement de son matériel de scène et près de 2000 MWh pour son chauffage.
. Le numérique a un impact considérable également : celui-ci représente 3 à 4 % des émissions de gaz à effet de serre (dont plus de la moitié dépend de son utilisation : data center, terminaux et réseaux).
Et la majorité des données consommées sur internet correspond à des contenus culturels (vidéo à la demande, jeux vidéos, contenu musical). La consommation de données culturelles en ligne représenterait à elle seule plus de 1 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre.
Le secteur culturel dépend aujourd’hui des énergies fossiles pour produire et diffuser des œuvres. Le changement climatique et la raréfaction des ressources fossiles, font donc, à terme, peser des menaces sur l’écosystème de la Culture. Sans compter que celui-ci, déjà fortement impacté car mis à l’arrêt par la pandémie, n’est pas à l’abri d’autres périodes d’instabilité dues à la raréfaction de certaines matières premières ou à la dégradation de la biodiversité et des écosystèmes.
Cependant, la Culture, se situant à l’intersection de nombreuses activités et organisations, peut jouer un rôle important dans la transition écologique. Mieux : elle peut en devenir un moteur.
Mais des solutions pour agir !
Mais comment ? Et que faire pour atteindre cette vision d’une Culture moteur de la transition environnementale ? Selon Olivier Lerude, du Ministère de la Culture, il y a déjà un foisonnement fort, riche, un « vrai volontarisme au sein du secteur culturel, avec des ramifications qui empêchent peut être la rationalisation mais c’est ce qui fait sa richesse (…) il faudrait réussir à trouver le lien entre ce foisonnement et la rationalisation »
Une des contributions du monde culturel est évidemment le rôle joué par les récits, ce que va véhiculer le monde culturel au travers de ses créations, qui peuvent contribuer à forger de nouveau récits. Pour Olivier Lerude « il convient de se poser le rôle de la culture au temps de l’Anthropocène ». Mais cela revient aussi à se poser le rôle de la Culture en général : comment le créateur entre en résonance avec ses publics, son époque ? Les créateur.ice.s peuvent devenir ceux qui pensent un avenir souhaitable, imaginent des paradigmes nouveaux, malgré les contraintes qui pèsent sur l’humanité… Mais ce rôle doit être outrepassé : « il s’agit de faire changer les imaginaires en ayant un réel impact sur la réalité ».
Une des principales mesures serait de faire le bilan, de mesurer l’impact. Pour Pervenche Beurier, d’Ecoprod (conseil pour des productions audiovisuelles respectueuses de l’environnement) : « un calculateur carbone a un aspect pédagogique, il permet d’identifier les actions les plus importantes, il permet de faire des choix de façon plus rationnelle. ». Cependant ces calculs nécessitent de croiser de nombreuses données et ils sont fluctuants d’une pratique à une autre : l’impact d’un spectacle, n’est pas le même que celui d’une exposition… Le Ministère de la Culture imagine cependant proposer des calculateurs carbone sectoriels d’ici un an.
La question de la montée en compétence semble aussi être une priorité : il faut accompagner la formation dans le secteur. Comme le révèle le rapport intermédiaire du Shift Project : un sondage réalisé auprès de plus de 176 professionnels et étudiants du secteur révèlent que beaucoup de ces derniers (76 %) ignorent le cycle de vie du carbone, ils (61 %) ne connaissent pas les efforts nécessaires en baisse d’émission de GES pour atteindre les objectifs fixés par les Accords de Paris. En totalité, ce sont 88 % des sondés qui avouent n’avoir eu aucune formation concernant les enjeux climat-énergie. Mais 88 % d’entre eux souhaiteraient être formés à ces enjeux. Comme le propose Pervenche Beurier : « il faudra intégrer progressivement ces compétences dans les fiches de postes pour créer la demande en formation ». Pour elle, les réseaux professionnels ont également une importance fondamentale. Tout comme le fait de casser les silos entre secteurs : « les théâtres ont appris des musées (utilisation des éclairages LED) qui ont ensuite appris des théâtres (comment préserver l’intégrité d’une oeuvre contemporaine lumineuse sans utiliser des équipement énergivores) ». Ou d’accompagner le secteur culturel sur le fait d’apprendre à réemployer les matériaux… Cette montée en compétence va probablement constituer un gisement d’emplois : designer circulaire, valoriste dans la scénographie, bâtisseur-rénovateur dans l’architecture, éco-référent sur les tournages …
Mutualiser les ressources et les infrastructures peut être également un moyen de répondre aux contraintes environnementales et climatiques : par exemple, mutualiser les tournées d’artistes internationaux entre plusieurs lieux culturels d’un même territoire. A ce titre, le Shift Project imagine, par exemple, l’interdiction des clauses d’exclusivité territoriale signé avec les artistes internationaux.
Mais il est aussi possible de mutualiser les équipements : partager du matériel scénique ou audiovisuel / de scénographie. Ou alors lui donner une seconde vie.
Ainsi la Réserve des Arts récupère de la matière (évènementiel, luxe, musée, théâtres…) qui est remise à disposition d’autres professionnels des Arts et de la Culture. C’est tout le principe de l’économie circulaire : sortir de la linéarité « j’extrait, j’utilise, je jette… » C’est aussi l’idée de Récupscène : le « bon coin » dédié au spectacle vivant (voir notre interview).
Avec l’économie circulaire, le déchet devient une ressource. Cela nécessite de bien connaître le cycle de vie d’un produit. Sandrina Andréïni, directrice de la Réserve de Arts,a pris l’exemple du pneu crevé :
– La première étape est de voir s’il l’on ne peut pas réparer celui-ci.
– La deuxième est de le réemployer dans un autre usage (en faire une balançoire)
– La troisième est de le recycler (en faire du broyât de caoutchouc)
– la dernière étape est celle du déchet…
Sachant que l’étape du recyclage demande de l’énergie. La question à se demander est : comment je transforme cette forme ? Comment j’exploite cette matière restante ?
Le numérique n’est pas immatériel
Qui dit innover dans la culture dit aussi innovation technique… Mais qu’est ce que cela a comme conséquences environnementales ? Peut-on aligner transformation digitale et transformation environnementale ?
Comme l’a affirmé Pascale Garreau, cofondatrice de l’agence Savoir*Devenir, « il faut savoir rester humble avec le numérique ». On a tendance à voir le numérique comme immatériel. C’est loin d’être le cas si l’on considère la réalité matériel du numérique (data center, câbles, terminaux…). Mais alors qu’est qui a le plus d’impact ?
Les datas center ? Encore raté !
La consultante estime qu’ils ne représentent que 30 % de la problématique environnementale. Les enjeux environnementaux viennent plutôt des usages : la production des terminaux (impliquant notamment l’extraction et l’utilisation de terres rares) et leurs cycle de vie (et l’obsolescence qui vient la raccourcir). Difficile d’évaluer l’impact pour elle : « demander si un iBook pollue plus qu’un livre revient à se poser la question : comment faire pour comparer les navets et les carottes ? Ce sont deux problématiques différentes ». Elle prend aussi l’exemple d’une exposition virtuelle : « si 1000 personnes ne sont pas déplacées au musée, cela peut être vu comme une bonne chose au niveau environnemental. Mais est-ce un remplacement ou une addition ? Est ce que l’exposition virtuelle n’a pas doublé la pratique ? ».
Cela n’empêche pas la prise de conscience. Landia Egal, directrice créative chez Tiny Planet (dans le domaine de la réalité augmentée / virtuelle) a témoigné de sa prise de conscience : « le numérique est loin d’être immatériel. Elle égrène ce qu’elle a découvert lorsqu’elle a décidé « de se poser des questions avant de poser des problèmes ».
La production des terminaux numériques sollicite des terres et des minerais rares qui sont disponibles en quantité limité dans certaines parties du monde et qui font l’objet. Ces derniers font l’objet d’un processus de raffinage importants et polluant. Le numérique a aussi des conséquences délocalisées : 70 % des déchets électroniques finissent enfouis ou rejoignent des circuits illégaux en Afrique.
Elle a aussi appris que le numérique représentait 4 % des émissions de GES. Pour elle il est donc important de « connaître, de savoir pour agir ». Que faire ? Pour Landia Egal, il faut sensibiliser les professionnels du secteur pour développer de nouveaux usages du numérique.
Facile à dire et donc facile à faire ? Pas forcément, car faut-il créer un nouvel usage ou apprendre à ce passer de celui-ci ? Elle prend l’exemple de la réalité virtuelle, qui est son domaine de compétence : « on travaille dur à créer de nouvelles demandes dans ce domaine ! ». Pour elle la question de l’évolution technique est très intéressante, mais elle pose la question de l’obsolescence du matériel. Aux possibilité créatives que proposent ces évolutions s’oposent la question de la sobriété numérique.
Alors que faut-il faire ? Pour Landia, il faut « se poser les bonnes questions (faut-il innover / créer ? Et pourquoi ?) ». Et peut être qu’une des pistes est de « faire évoluer les habitudes des consommateurs plutôt que de les satisfaire ».
Une réflexion qui renvoie au travail initié par Canal +, représenté par Marine Schenfele, directrice RSE, qui a initié une refonte de sa plateforme « My Canal ». Un travail qui a été fait avec les équipes techniques pour limiter les impacts de cette plateforme de streaming (encodage et format différents). Mais aussi un processus de sensibilisation et d’engagement des publics. Car ces derniers peuvent choisir par eux même leur fonctionnalités, la gestion du débit. Des recommandations leurs sont proposées (à partir de données de l’ADEME et de Green IT). Un travail qui répond à des enjeux quant aux préoccupations des publics mais qui vient aussi anticiper des réglementations à venir.
Au delà de la responsabilité se pose donc une question d’adaptation : au règlement à venir mais aussi à la diminution des ressources, de l’approvisionnement en énergie. Si celles-ci venaient à se raréfier, elles seraient sans doute fléchées sur des activités stratégiques. Se poserait alors la question de l’essentialité du secteur des Industries Culturelles et Créatives et amènerait à une possible et logique question : à quoi renonce-t-on ?
Comme le dit Landia Egal : « il n’est pas évident que la transition numérique et la transition environnementale aillent dans le même sens, mais il est sûr que si la production n’est pas soutenable, les problèmes risquent d’être décrus ».
Créer Autrement
S’interroger sur une transition environnementale de la culture doit conduire finalement, à tendre à un changement global de paradigme.
Car s’interroger sur les défis concernant la survie du secteur culturel, c’est aborder les questions environnementales mais aussi sociales (si l’on réduit le nombre de propositions culturelles pour minimiser l’impact sur la planète, il y aura moins d’emplois culturels), économiques (si la Culture écoresponsable est plus chère, les publics vont-ils suivre ?) et structurelles (on ne peut pas imposer des mesures / des clauses écologiques à l’attribution de subventions sans co-construire avec tout un écosystème : ses publics, ses salariés, ses bénévoles). C’est également se poser des questions de management, de gouvernance. C’est poser la question de la diversité, celle de la diversité culturelle (car, comme l’affirmait Jean Michel Lucas en septembre dernier, « une planète durable est aussi une planète où sont respectés les droits humains fondamentaux… « )
Le fait de passer par toutes ces interrogations peut apparaître comme une contrainte ? Pourtant comme l’on exprimé, plusieurs des intervenants lors de cette après midi : « il faut y voir une opportunité pour innover, apprendre à créer autrement », « pour refonder un nouveau modèle ».