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Quelles histoires s’écrivent dans les musées ?

La conservation de ses collections reste une des missions pre­mières du musée. Mais, le musée d’aujourd’hui véhicule cependant un ensemble de récits et cristallise des enjeux contem­porains. On lui a confié la lourde charge d’écrire une histoire col­lective, souvent au service d’une culture nationale tout en recueillant des paroles singulières. Mais ce récit culturel est désormais contesté, dans ses contenus et sa forme même. Nous en avons discuté avec Magali Nachtergael, autrice de l’ouvrage « Quelles histoires s’écrivent dans les musées ? »*.

En partenariat avec Mkf Editions

Stratégies culturelles : Bonjour Magali, vous rappelez dans votre introduction que « le musée n’est pas un lieu neutre ». Est ce à dire qu’ils sont nécessairement connectés aux contextes politique, social ou économique dans lesquels ils s‘inscrivent ?

Magali Nachtergael : Les musées conservent des biens du patrimoine national, à ce titre ils sont liés à l’histoire du pays et il est difficile de considérer que ces acquisitions soient complètement détachées de la politique et d’une image qu’un pays veut se donner de lui-même. Qu’est-ce qui fait qu’un bien patrimonial est considéré comme ayant une importance majeure pour la culture ? C’est le fruit d’une histoire que l’on souhaite mettre en avant dans un dispositif d’exposition ou en tout cas le conserver comme une mémoire qui refléterait de façon juste, et valorisante de préférence, les personnes ou les groupes à qui ces biens appartiennent.

Stratégies culturelles : Et d’ailleurs, est-ce que cela vient expliquer le fait qu’ils soient le théâtre d’actes militants souhaitant sensibiliser l’opinion à l’urgence climatique ?

Magali Nachtergael : Oui, cela peut paraître surprenant que le musée soit attaqué comme un espace symbolique de pouvoir, puisqu’on s’attendrait plutôt à ce que les militants militantes s’en prennent aux multinationales, il y a sans doute une part de risque plus élevée de répression en dehors des musées, mais dans l’écologie de l’attention , s’attaquer à une œuvre d’art à très haut potentiel symbolique est la garantie d’un choc médiatique immédiat. D’autant qu’envoyer de la soupe sur une œuvre qui finalement est protégée par une vitre ne porte pas à grande conséquence tout en ayant un effet maximal. On constate que le musée est utilisé là comme chambre d’écho de revendications, et cela va assez dans le sens aussi de certaines œuvres d’art contemporain qui portent des discours très engagés et dont les auteurs utilisent aussi l’espace du musée pour faire connaître des histoires qui ont été minorisées ou occultées des grands récits nationaux ou de l’histoire de l’art.

Stratégies culturelles : Pour capter l’attention du public, déployer un récit efficace, les expositions reprennent à leur compte le concept de storytelling : faut-il y voir une dérive ? Peut-on la détourner à bon escient ?
Magali Nachtergael : La constitution d’un projet d’exposition repose sur un scénario, c’est la note d’intention qui explique le propos de l’exposition, ce qu’elle tend à démontrer, ce qu’elle souhaite mettre en avant et il y a une dimension de communication, évidemment. Il faut avoir un bon sujet, et parvenir à susciter l’intérêt dans un océan informationnel. Je ne sais pas si c’est une dérive, puisque socialement, on s’est toujours raconté des histoires, mais il est certain que la dimension commerciale ou idéologique est plus rarement assumée dans ces récits à vocation promotionnelle. Mais le storytelling peut aussi être militant, c’est un outil de la politique.

Stratégies culturelles : Certains musées commencent à évoquer les « histoires cachées » (colonisation, invisibilisation des artistes femmes…) dans leurs programmation, leurs expositions… Faut-il y voir une évolution dans la manière de penser le récit muséal ?

Magali Nachtergael : Oui heureusement les musées ont beaucoup évolué ces dernières années grâce à la recherche mais aussi grâce à la mise en visibilité d’autres histoires notamment ou des histoires coloniales. En France en particulier le récit colonial, s’il est très présent dans le monde de la recherche se fraye péniblement un chemin dans le grand public et il n’est pas du tout intégré aux habitus culturels, puisque cela reste un récit de défaite, bien moins glorieux que ce que les institutions ont voulu dire. Généralement on est réticents à raconter ce qui est vécu comme un échec au niveau du pays, et c’est le cas en France avec son histoire coloniale qui est toujours en cours, et génère donc des tensions au-delà du musée. la présence des artistes femme est aussi une évolution extrêmement importante. Maintenant il reste aussi à revaloriser le travail des femmes et avoir plus de diversité dans les institutions

* Ouvrage disponible aux éditions Mkf

Auteur
Je m’appelle Cyril Leclerc. Je propose, en tant qu’indépendant, du conseil et de l’accompagnement en communication dans les domaines culturels et artistiques. Diplômé en Histoire de l’Art et en Ingénierie culturelle, je me suis, au fil de mon parcours, spécialisé dans la communication culturelle, jusqu’à en faire mon métier. J’ai notamment été pendant sept années, chargé de la communication culturelle à l’Abbaye aux Dames, la cité musicale (Saintes – France). Je m’intéresse particulièrement à la façon dont on peut mettre les outils marketing au service de projets culturels et comment la communication peut enrichir un projet culturel, lui apporter du sens…