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Interview : Amélie Mammou : « le milieu culturel n’est pas un nuage idyllique qui flotterait déconnecté de toute réalité »

Elle se définit comme une « jeune pousse de la culture », mais elle n’a pas sa plume* dans sa poche ! Rédactrice d’une thèse professionnelle** sur « l’écoresponsabilité dans les lieux permanents de spectacle vivant », Amélie propose une vision pertinente de ce que pourrait un secteur culturel respectueux de l’environnement. Nous lui avons posé quelques questions…

Communicant.info : Bonjour Amélie, pouvez-vous présenter et présenter votre parcours ?
Amélie Mammou : Bonjour ! Je suis une jeune pousse du milieu de la culture. Tout récemment diplômée d’un master spécialisé en management culturel à BSB Dijon, cela fait maintenant cinq ans que j’évolue dans le monde culturel. Comme tout le monde (ou presque), j’ai commencé par faire du bénévolat dans un festival de musique près de chez mes parents : Les Eurockéennes de Belfort ! Puis j’ai sillonné les routes du spectacle vivant et alterné les expériences : théâtres d’humour parisiens, une scène nationale, un opéra national et plus récemment le CENTQUATRE-PARIS. Je me suis spécialisée au fil des années et évolue désormais dans les métiers de la production. Et comme on retourne toujours à nos premières amours, je mets un point d’honneur à rejoindre les rangs des Eurockéennes chaque été, quand cela m’est possible.
Toujours bercée par des idéaux culturels et artistiques, j’ai suivi des études tout ce qu’il y a de plus littéraires : baccalauréat option cinéma et option danse, classe préparatoire Lettres et Arts… A l’époque, tout portait à croire que j’allais intégrer l’École nationale supérieure (dont je ne voulais pas et qui ne voulait pas vraiment de moi non plus) puis faire carrière dans l’enseignement. Peut-être par désir de ne pas reproduire les schémas familiaux, j’ai fui l’enseignement et j’ai rejoint une école de commerce pour y prendre la route – un peu plus « punk » – du management culturel !

C.I : Vous avez rédigé une thèse sur « l’écoresponsabilité dans les lieux permanents de spectacle vivant ». Qu’est qui a motivé votre choix ?
AM : Cette thèse professionnelle était un prérequis académique pour valider mon double diplôme. J’imaginais difficilement traiter d’un sujet qui ne me transporte pas. Pour tout vous dire, j’avais commencé ma recherche sur un tout autre sujet, quelque chose comme « les nouveaux modèles économiques du spectacle vivant public »… Beaucoup moins racoleur, pas vrai ?
En parallèle de ces recherches, je travaillais en tant que chargée de billetterie pour un théâtre privé à Paris et, à titre citoyen, j’étais profondément choquée du manque total de considération écologique dans les pratiques que je pouvais y voir au quotidien. Je remarquais aussi que mes confrères et consœurs du milieu faisait ce même constat dans leurs structures. Je me suis donc emparée de mes deux armes fétiches, l’écriture et l’humour, pour écrire un article sur « la responsabilité écologique des lieux de culture » et soulever des réalités auxquelles on ne pense pas. Ça a été le point de départ d’un long travail de recherche, sur un sujet qui me tenait vraiment à cœur, et qui a abouti sur cette thèse professionnelle. Il me semblait important que ma thèse puisse servir au plus grand nombre, dans le milieu du spectacle vivant, à l’heure où les mots ‘transition’ et « responsabilité » sont dans toutes les bouches.

Le secteur culturel aurait beaucoup à gagner à s’inspirer des nouveaux modèles, plus responsables, qui émergent dans d’autres secteurs d’activités »

C.I : Tournées ou expositions à l’empreinte carbone démesurée, Concerts ou festivals énergivores… Le monde culturel doit-il repenser ses modèles ?
AM : EVIDEMMENT. Le monde culturel a encore beaucoup de cartes à jouer pour modifier son paradigme. Avant tout, je pense qu’il est nécessaire d’élaborer de nouveaux outils : comment modifier des modèles que l’on ne sait pas évaluer ? Néanmoins, d’ici à ce qu’une démarche collective s’organise dans le milieu, je pense qu’il est à la portée de tous les acteurs culturels de s’engager à leur échelle. Les professionnels des métiers de la culture sont à 99% engagés voire militants pour la cause écologique, et pourtant rares encore sont ceux qui transfèrent leurs principes dans le cadre de leur vie professionnelle. Je trouve cela très significatif, mais je ne cherche pas non plus à diaboliser le secteur car des initiatives fleurissent à droite à gauche, le prosélytisme s’organise, notamment dans le spectacle vivant.
Il faut aussi garder en tête que le milieu culturel n’est pas un nuage idyllique qui flotterait déconnecté de toute réalité. Il dépend largement d’industries majeures comme celles des transports, de l’énergie ou de l’agroalimentaire. Et même si toute initiative individuelle est bonne à prendre, on ne peut pas attendre du seul secteur culturel qu’il renverse la face du monde. D’ailleurs, je pense que le secteur aurait beaucoup à gagner à s’inspirer des nouveaux modèles, plus responsables, qui émergent dans d’autres secteurs d’activités, notamment industriels.

C.I :  Cet effort est-il à la portée de tous les acteurs culturels ?
AM : Le terme d’effort renvoie à une certaine pénibilité, et je ne pense pas qu’une transition écologique se situe dans ce registre. Néanmoins, il me semble que oui, tout acteur culturel est en mesure d’initier des démarches responsables à son niveau et a tout à y gagner. Divers paramètres entrent en ligne de compte, et tous les acteurs n’ont pas les mêmes moyens (humains, temporels, financiers). Les festivals, par exemple, sont déjà bien engagés dans les démarches de responsabilité environnementale, notamment grâce à leur caractère éphémère. Les établissements publics, à l’inverse, pâtissent de leur dépendance aux tutelles et aux règles de comptabilité publique, entre autres. Toujours est-il que chaque acteur, à son niveau, possède certains éléments de levier : sensibiliser les collaborateurs, les artistes, le public, s’investir sur son territoire, revoir ses équipements…
Quant à la question de savoir si tous les acteurs culturels peuvent initier un changement de modèle organisé qui affecte l’entièreté du secteur, c’est un autre débat. Certains acteurs ont beaucoup d’emprise sur d’autres, je pense notamment aux acteurs institutionnels (subventionneurs, tutelles). Si les DRAC incluaient des critères de responsabilité écologique dans les subventions qu’elles attribuent aux productions ou aux compagnies, ces dernières fourniraient sans doute « l’effort » dont vous parlez avec d’autant plus de cœur. A l’inverse, il appartiendrait à ces mêmes DRAC et autres organismes de conventionnement d’encourager, à valeur artistique égale, les projets les plus responsables.

« La véritable responsabilité des organisations culturelles est d’instiller les principes écologiques à leur activité de sorte à façonner le secteur culturel de demain »

C.I : Au-delà de cette adaptation matérielle, pensez-vous qu’il est de la responsabilité des organisations culturelles de participer aux débats environnementaux telle que l’urgence climatique ou la disparition de la biodiversité ?
On assiste ces derniers temps à une multiplication de débats environnementaux en ce genre où les organisations culturelles participent effectivement. Des événements professionnels s’organisent, des temps forts liés à la question environnementale occupent de plus en plus les acteurs culturels. Je pense en effet qu’il est important de s’investir pour cette question, et de permettre aux acteurs culturels de se fédérer autour du sujet de la responsabilité écologique. Je pense également que de nouvelles façons de penser nos métiers peuvent éclore de ces débats. Mais plus encore, je suis convaincue que la véritable responsabilité des organisations culturelles est d’instiller les principes écologiques à leur activité de sorte à façonner le secteur culturel de demain, et avec lui, la société.

A lire également :
* Article sur la responsabilité écologique des lieux de culture
** Thèse professionnelle : La responsabilité écologique des lieux permanents de spectacle vivant

Notre article : Des pistes pour une nouvelle stratégie ? 2/5 : l’environnement : une évidence ?

Auteur
Je m’appelle Cyril Leclerc. Je propose, en tant qu’indépendant, du conseil et de l’accompagnement en communication dans les domaines culturels et artistiques. Diplômé en Histoire de l’Art et en Ingénierie culturelle, je me suis, au fil de mon parcours, spécialisé dans la communication culturelle, jusqu’à en faire mon métier. J’ai notamment été pendant sept années, chargé de la communication culturelle à l’Abbaye aux Dames, la cité musicale (Saintes – France). Je m’intéresse particulièrement à la façon dont on peut mettre les outils marketing au service de projets culturels et comment la communication peut enrichir un projet culturel, lui apporter du sens…

Commentaires (2)

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