Développement et stratégie

3 questions à Evelyne Lehalle, Le Nouveau Tourisme Culturel (NTC)

Opposer tourisme et culture ou les réconcilier ? Il y a là, peut-être, un rapprochement à faire avec la relation entre marketing et culture ? Et pour parler de tout cela, qui d’autre qu’Evelyne Lehalle ? Créatrice de l’entreprise et du blog « NTC, le Nouveau Tourisme Culturel » et autrice d’un livre sur le tourisme culturel (Editions TERRITORIAL en 2012 et nouvelle éditions en 2018. (Groupe Le Moniteur/ La Gazette des Communes 2018), elle a bien voulu répondre à nos questions.

Communicant.info : Bonjour Evelyne ! Tourisme + culture = tourisme culturel. J’imagine que cette équation vous convient ?
Evelyne Lehalle : Bien sûr, la culture est bien l’une des activités du Tourisme, dont on peut rappeler les trois piliers : les Transports, les Hébergements et les Activités. Pour nous amuser,  constatons que CULTURE+ TOURISME aboutit à quelque chose de bien différent, une Culture touristique, qui serait une parfaite connaissance, dans l’espace et le temps, de toutes les destinations touristiques du monde. Jean-Didier Urbain, exceptionnel sociologue et érudit des « Histoires de tourisme » est l’un des rares chercheurs à avoir analysé l’histoire  des touristes depuis 1850 et le sens du tourisme, dans son fabuleux « Idiot du Voyage ». Cet ouvrage est un incontournable pour bien comprendre le Tourisme Culturel.Enfin, pour simplifier, il y a plusieurs sources pour le tourisme culturel :
. Le tourisme :  la culture qui s’installe directement dans un hébergement ou un transport (Hôtel, un gîte ou un camping  ou sur les parois d’un tramway, comme à Nantes et à la SNCF (friches et graffiti, chez nous) ; les fêtes locales ou spectacles choisis par le tourisme sans l’avis de la culture locale.
. Le tourisme et la culture, ensemble : très rare, mais excellent chez nous, avec un organisme Unique depuis 2011 à Nantes : Le Voyage à Nantes. A copier sans modération.
. Les offres culturelles d’un ou plusieurs établissement culturels, portés par les Régions (Normandie Impressionniste)  les villes et les institutions culturelles. Ce sont, de loin, les plus nombreuses. Souvent en très forte concurrence « à tous les étages » (établissements « entre eux, mais aussi échelons des collectivités, entre les différentes régions), ces offres souffrent aussi  d’un manque de qualification. Par exemple, pour ne froisser aucun élu, tous les musées sauf les deux ou trois plus importants,  semblent avoir des architectures ou des collections de bonne qualité, de façon égale, ce qui est rarement le cas. Et, sur les sites officiels, il y a « toute l’offre », ou presque, donc un énorme embarras du choix, pour le voyageur ou futur visiteur, accompagne ce « trop-plein ».

Evelyne Lehalle / Tourisme-Culturel
Evelyne Lehalle / Le Nouveau Tourisme-Culturel

« Dans le meilleur des mondes, l’interdépendance entre tourisme et culture est bien réelle. »

>C.I : Tourisme et culture sont-ils antagonistes ou interdépendants ?

EL : Dans le meilleur des mondes, l’interdépendance  entre tourisme et culture est bien réelle. Il est très difficile d’imaginer l’attractivité de la France, qui est le pays qui accueille le plus de touristes étrangers au monde, sans Paris et sa Tour Eiffel ou  sans les milliers de musées, d’églises, de monuments historiques ou de festivals de notre pays. Ou sans notre gastronomie et autres patrimoines  immatériels français. L’aura culturelle de la France, c’est aussi Alexandre Dumas ou Victor Hugo en Chine, tout deux placés juste après Napoléon dans le trio des trois premiers personnages  « représentant  la France ».
La diplomatie culturelle est une forme de  « soft power » qui joue aussi au niveau national,  tangible en avril 2019 lors de l’incendie de Notre Dame de Paris, quand le chagrin et l’émotion furent réels en France comme à l’Etranger

La Culture, image d’une destination ?

Avec un peu d’expérience, on comprend vite que le tourisme culturel est surtout une « carte postale » de la destination France ou de ses régions, et une réelle interdépendance est assez théorique, pour deux raisons :
. Pour la Culture, ses réticences à tout système « marchand » (« La Culture n’est pas à vendre », y compris dans les monuments et musées historiques privés) s’opposent aux fondamentaux de l’industrie touristique et de ses filières : les profits attendus de ses stratégies, objectifs et investissements.
Rares sont les partenariats avec le Tourisme aussi développés que ceux que la Culture conclut chaque année avec l’Education Nationale ou les politiques de la Ville. En cela, le Tourisme Culturel n’est pas une priorité des professionnels du tourisme, tous métiers confondus (Production des offres, promotion, marketing et communication ou Numérique), et le Tourisme est généralement absent des formations culturelles.
D’autres « activités » du Tourisme, comme le Sport ou la Randonnée sont plus populaires, plus faciles à organiser que le tourisme culturel ; les Spa ou les courses cyclistes ou d’auto sont plus lucratifs que le tourisme culturel, tout comme les grandes filières du Tourisme Balnéaire, Rural, Urbain ou le Tourisme de montagne ne sont pas conditionnées à une offre culturelle. ou « Tendance » (Tourisme Vert).

« Le ciblage permet aussi de « rencontrer qui vous ressemble »

C.I : A l’heure du numérique et de la personnalisation, un établissement culturel doit-il encore cibler des touristes ?
EL : Le numérique a peut-être le grand défaut de nous laisser le choix d’approfondir nos connaissances plutôt que de découvrir d’autres horizons ; mais, de facto, c’est loin d’être un défaut puisqu’à ne rien approfondir pour cause de complexité « avant les usages numériques », nous aurions peut-être passé notre vie à simplement butiner quelques connaissances, de-ci-delà, façon « culture générale » en 1950. Plus sérieusement, les « profils » des individus, mais aussi les « profils » de collectivités (Villes ou Pays, associations ou simples joueurs de cartes…) s’affinent et, si chacun redoute une entrée dans son intimité, chacun souhaiterait ne recevoir « que ce qui lui plait, ce qu’il aime avant toute autre chose ». On le sait, la France a  eu assez tôt le précieux algorithme de l’entreprise « Critéo », experte en ciblage grâce aux traces laissées sur Internet et qui peut accumuler, trier et croiser vos goûts ! Même en vous faisant très discret, quelques photos ou appels téléphoniques en disent long sur vos centres d’intérêt. Mais le danger est la systématisation de l’échange « Nos avantages du web, nos gratuités (Google, les réseaux sociaux…) contre votre profil et sa mise à jour « . Contre cet avantage, la loi Informatique et Libertés ne peut pas tout !
A cet état des lieux, une réponse sur la « personnalisation  » est évidente : si je n’aime que la culture et que l’on m’envoie sur mes adresses internet une information sur le planning annuel des matchs de foot de ma ville, rien ne va plus. Moi, à l’ère digitale, je me dis qu’en ce cas, j’ai une preuve que :
. le foot local est agile et puissant, mais que la Culture locale institutionnelle ignore les usages numériques
. les Responsables culturels se moquent d’avoir des visiteurs (musées, monuments) ou des  spectateurs (théâtre ou concerts et opéras), ou encore des « participants » pour donner des avis ou faire des propositions en tant que citoyens.
. Pire : sans ce « ciblage »  de mes goûts, je penserais que les élus se moquent de la Culture, ne mettent pas les moyens nécessaires dans un marketing culturel raffiné qui me permettrait d’interagir avec eux…et permettrait aussi une interaction entre ces citoyens. Que plutôt que des envois postaux et des invitations sur papier glacé ils doivent investir dans un total renouvellement de leurs communication, avec des propositions numériques (Messages, images, vidéos, agenda, challenges, concours, etc…..) et une animation culturelle au quotidien de leurs réseaux sociaux, avec un gros travail prospectif sur des « non-publics », ceux qui, habituellement, ne fréquentent pas les sites culturels. (comme les Musées de Rouen, qui font cela très bien ) Car le ciblage permet aussi de « rencontrer qui vous ressemble », si vous le souhaitez, des habitants, par exemple, qui ont les mêmes centres d’intérêts que vous et souhaitent échanger sur un sujet. Il s’agit de choix « affinitaires » que l’on a toujours très bien accepté de la part de nos bibliothèques, (Vous avez aimé tel auteur, ou tel livre, vous aimerez…tel autre ). Mais très peu de données  sont «qualifiées » (renseignés, triés, analysés, objets de propositions ciblées »…. dans les institutions patrimoniales ou celles du spectacle vivant.
Conclusion : si une institution culturelle veut donc « cibler «  des touristes, il faut qu’elle les cherche, ait une stratégie, trouve des objectifs et fasse le choix de tel ou tel « segment »et pour tout cela, qu’un établissement culturel ne sait pas faire, il y a deux solutions.
La première est de  s’adresser à l’organisme de tourisme le plus proche et le plus spécialisé dans l’offre aux touristes : Office de Tourisme local, départemental (CDT) ou régional (CRT), qui accordera sa propre stratégie (Renforcer les segments « Famille »,ou « Classes moyennes »… ou proposer les séjours culturels pendant les « ailes de saison », hors vacances »).
La seconde, et à mon avis la plus bénéfique pour le suivi et la durabilité des opérations, est de faire appel à un consultant  spécialisé dans ces  cibles culturelles qui saura, mieux que quiconque, repérer, faire venir et…fidéliser !  .
Enfin, et pour mettre à l’aise les anti-marketing, partisans de l’universalité de la Culture : quand j’étais au Musée d’Orsay – les Impressionnistes, un thème universel ! – j’avais proposé à tous mes correspondants de la Carte blanche de faire un « Voyage à Londres dans tous les musées pour voir la peinture qui s’y faisait pendant que nous menions la vie dure aux artistes  impressionnistes,  en France  ». Un choix d’avantage de la Carte Blanche très ciblé : à part des fans de l’Impressionnisme, à qui d’autre proposer un tel voyage ? En fait, avec ce Voyage à Londres, je « ciblais », sans le savoir !

Evelyne Lehalle proposera 2 articles dans le livre blanc créé en partenariat avec l’équipe de Cyril Leclerc Communication : « Le marketing culturel de A à Z ». Pour recevoir celui-ci le 23 octobre : inscrivez vous ici.

Auteur
Je m’appelle Cyril Leclerc. Je propose, en tant qu’indépendant, du conseil et de l’accompagnement en communication dans les domaines culturels et artistiques. Diplômé en Histoire de l’Art et en Ingénierie culturelle, je me suis, au fil de mon parcours, spécialisé dans la communication culturelle, jusqu’à en faire mon métier. J’ai notamment été pendant sept années, chargé de la communication culturelle à l’Abbaye aux Dames, la cité musicale (Saintes – France). Je m’intéresse particulièrement à la façon dont on peut mettre les outils marketing au service de projets culturels et comment la communication peut enrichir un projet culturel, lui apporter du sens…