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Dossier « Vers un numérique responsable » : entretien avec Marie Husson du collectif Green IT

Pour inaugurer notre dossier vers un numérique plus responsable, nous avons rencontré Marie Husson. Avec cette consultante en numérique responsable et membre du collectif Green IT, nous avons évoqué les enjeux liés au numérique responsable : impacts, questions à se poser, pratiques à questionner… Une excellente entrée en matière !

Communicant.info : Bonjour Marie, pouvez-vous vos présenter ainsi que le collectif Green IT ?

Marie Husson : Je m’appelle Marie Husson, je suis consultante en numérique responsable et experte indépendante. Je travaille principalement sur l’éco-conception de services numériques, ayant à l’origine un profil Product manager (conception et développement de services numériques – NDR) et Ux design (design de l’expérience utilisateur – NDR). Je travaille également sur la sensibilisation au numérique responsable auprès des entreprises et des organisations.
Je fais partie du collectif Green IT. Celui-ci existe depuis 18 ans et s’intéresse, depuis sa création, au numérique responsable, qui a été précurseur dans sa définition et dans celle de la sobriété numérique. Green IT est un collectif d’experts indépendants qui cherchent à faire avancer ces sujets au sein des organisations, du gouvernement (nous avons une action de plaidoyer importante pour faire avancer la réglementation) et également auprès des particuliers (avec des actions de promotion, de sensibilisation…).

« Le numérique c’est un outil. Et celui-ci n’est ni bon ni mauvais, c’est la façon dont on va l’utiliser qui potentiellement va produire des impacts »

Communicant.info : les outils numériques constituent une opportunité pour les acteurs culturels (pour développer leurs publics, faire de la médiation, de la démocratisation culturelle…). Mais quels sont les impacts (et plus particulièrement les impacts environnementaux) générés par le déploiement de ces outils ?

Marie Husson : la réponse est en peu en germe dans votre question. Vous avez raison de dire que le numérique c’est un outil. Et celui-ci n’est ni bon ni mauvais, c’est la façon dont on va l’utiliser qui potentiellement va produire des impacts. Et c’est vrai que dans le secteur culturel, les impacts positifs du numérique paraissent évidents : démocratisation des savoirs, accès à la culture, possibilité de toucher des cibles éloignées. Mais, selon la façon dont on va l’utiliser, son utilisation avoir des impacts environnementaux (qui sont importants dans le cadre du numérique) et sociétaux (notamment la captation de l’attention chez certains publics comme les enfants).
Les impacts environnementaux sont multiples et il faut bien le comprendre. On s’intéresse aujourd’hui au changement climatique, parce qu’il y a une urgence que l’on ressent dans notre quotidien. Mais le numérique, comme toute activité humaine, va contribuer au changement climatique… Mais aussi à de nombreux autres impacts environnementaux, notamment tout ce qui est lié à l’exploitation des ressources abiotiques (ressources non renouvelables comme par exemple l’extraction et le raffinage des métaux qui servent à la fabrication de nos appareils électroniques qui sont extrêmement polluants). On va aussi avoir des impacts sur l’eau. Il y a, par exemple, des régions du monde où l’eau est consacrée à l’exploitation de mines au détriment d’une agriculture locale. Il faut donc bien retenir cet aspect multicritères, car, souvent, on entend dire que le numérique fait partie de la solution notamment pour lutter contre le changement climatique. Il faut faire très attention avec ce type d’assertion, car on est clairement sur un transfert d’impact. Créer du numérique aujourd’hui, cela a des impacts sur le changement climatique mais aussi sur plein d’autres critères environnementaux. C’est pour cela qu’au sein du collectif Green IT, nous parlons plus de limites planétaires pour avoir cette approche « multicritères ».

« On a peut être l’impression que le numérique c’est quelque chose d’immatériel, mais pour toute action dite dématérialisée, nous allons utiliser un ordinateur, un smartphone qui a été produit quelque part et qui finira sa vie quelque part… Cette matérialisation déplacée, qui est moins visible est bien réelle tout comme les étapes qu’elle implique… »

Communicant.info : c’est cette approche « multicritères » qui doit donc donc nous faire aller au-delà du fait de trier les mails ou couper le wifi pour s’intéresse à la durée de vie de nos équipements informatiques ?

Marie Husson : Effectivement, il y a vraiment deux aspects très importants : l’aspect multicritères : essayer de qualifier et de comprendre quels sont les impacts environnementaux. L’autre aspect important est la notion de cycle de vie : essayer de comprendre quels sont les impacts que va avoir le numérique sur l’ensemble des étapes de la vie des produits qu’il implique.
On a peut être l’impression que le numérique c’est quelque chose d’immatériel, mais pour toute action dite dématérialisée, nous allons utiliser un ordinateur, un smartphone qui a été produit quelque part et qui finira sa vie quelque part… Cette matérialisation déplacée, qui est moins visible est bien réelle tout comme les étapes qu’elle implique… Tous ces objets, ces équipements qui nous permettent d’utiliser le numérique (les smartphones, les ordinateurs, le câbles du réseau, les datacenters…) ont été fabriqués… Et à un moment il auront une fin de vie : ils seront collectés, potentiellement très peu recyclés et finiront soit en enfouissement, soit il seront incinérés.
Et effectivement, aujourd’hui, le gros des impacts est plutôt du côté de la fabrication des équipements des utilisateurs. Donc, si vous passez toute une journée à supprimer les mails de votre ordinateur, vous allez plutôt travailler sur la phase d’utilisation d’énergie pour faire fonctionner votre appareil et beaucoup moins sur la phase de fabrication. C’est pour cela qu’il faut faire attention car il y a beaucoup de fausses bonnes idées qui circulent. Et il faut s’intéresser aux actions qui vont permettre d’allonger la durée de vie des smartphones, des ordinateurs…

« La démarche d’éco-conception ou d’éco-responsabilité commence par questionner non pas les outils que l’on souhaite utiliser mais les besoins que l’on a… »

Communicant.info : Donc si je suis un acteur culturel et que je souhaite utiliser le numérique pour communiquer avec mes publics, pour leur proposer une expérience de visite plus immersive ou agréable… A la lecture de ce constat, que dois je faire ? Et ne peut plus faire ?

Marie Husson : Il faut prendre conscience qu’il y a pas de réponse simple à cette question et cela demande de la réflexion et du temps. Il faut peut être se méfier des réponses très génériques. Ce qui va fonctionner dans un contexte ne va peut être plus être efficace dans un autre… Ce que vous abordez c’est un peu le fondement de la démarche d’éco-conception ou d’éco-responsabilité. Celle-ci commence par questionner non pas les outils que l’on souhaite utiliser mais les besoins que l’on a… Si par exemple, je souhaite mener une action auprès de publics qui sont en situation de handicap ou très très éloignées de la culture, le numérique est, peut être, une solution pertinente… La réponse est toujours apportée par rapport au besoin et il faut toujours se questionner sur celui-ci. Les bonnes questions que l’on peut se poser c’est :
– « finalement, si je n’utilise pas le numérique, qu’est ce qui se passe ?
– Où est ce que le numérique est vraiment indispensable ?
– Et quels seraient les impacts négatifs ? »

« Le réflexe à avoir en premier lieu c’est de se dire : Voilà mon besoin, pourquoi de manière instinctive, je répondrais à ce besoin avec un outil numérique ? »

C’est vrai que l’on s’interroge sur son besoin, on a toujours tendance à considérer que le numérique est une solution, à envisager tous ses aspects positifs en oubliant les aspects négatifs (environnementaux, maitrise du budget, questions de cybersécurité…). Le réflexe à avoir en premier lieu c’est de se dire : « Voilà mon besoin, pourquoi de manière instinctive, je répondrais à ce besoin avec un outil numérique ? » Par exemple, le besoin ce n’est pas d’avoir un site web, le besoin c’est de communiquer… Ce n’est pas d’avoir une borne interactive mais de faire passer un message de façon pédagogique à un certain type de publics…

Communicant.info : D’après vous, n’y a-t-il pas des pratiques numériques auxquelles le monde culturel devrait simplement renoncer ? Prenons par exemple, le web 3 (NFT et métaverse) : est que l’appropriation de ces outils peut être questionnable ?

Marie Husson : Pour ma part, les NFT et le métaverse pourraient plutôt être qualifiés de « fantasmes de pratiques ». On nous promet une réponse à un besoin que l’on arrive même pas à qualifier… Je suis assez dubitative. Le fait que cela aura un impact environnemental, ça c’est certain. On est clairement pas dans le concept de sobriété qu’il faudrait adopter. Mais je questionne aussi le fondement même de ce besoin là…
Donc la pratique qui serait à abandonner de mon point de vue, c’est celle d’adopter sans challenger, sans questionner… Le numérique ne transforme jamais la mission, les valeurs, le pourquoi ? d’une organisation, d’un acteur… Il doit servir celles-ci, il ne va jamais les transformer… c’est pour ça qu’au sein du collectif, on est très prudents sur ces sujets… C’est un peu prématuré, il faut attendre de voir s’il y a une réelle plus-value qui justifierait le coût environnemental certain

« L’effet waouh qui a marché pour son voisin, dans un autre secteur d’activité, pour un autre acteur, une autre organisation, ne fonctionnera peut être pas chez vous… »

Communicant.info : Est-ce qu’aller vers la sobriété numérique, ce n’est pas se méfier des tendances, ou de l’effet waouh qui est souvent promis aux acteur culturels (et aux publics) ?

Marie Husson : Complétement ! Et c’est d’autant plus vrai dans le numérique que cet effet waouh est souvent accessible. Même si cela a un coût, l’utilisation des services numériques repose sur des budgets relativement accessibles. C’est donc sûr qu’il y a une espèce de phénomène de séduction immédiat. Il faut donc s’en méfier, de se poser de la question de la pertinence de l’outil par rapport au sens de ma mission, par rapport à ce que je promet à mes publics. D’ailleurs, est-ce que ces publics sont forcément en attente d’un effet waouh, ce n’est pas forcément vrai pour toutes les catégories de publics. Je pense d’ailleurs, que le secteur de la culture, de par la nature même des métiers et des valeurs qu’il porte, constitue un terrain favorable pour aller vers la sobriété numérique… Et il faut, enfin, souligner que se méfier des dernières tendances ou de l’effet waouh, ce n’est pas uniquement vrai pour des problématique environnementales ou sociétales… Il faut avoir conscience que quand on parle de transition numérique ou d’innovation, il y a plus d’échecs que de succès, sauf que l’on ne parle pas des échecs (ou moins). Donc l’effet waouh qui a marché pour son voisin, dans un autre secteur d’activité, pour un autre acteur, une autre organisation, ne fonctionnera peut être pas chez vous…

Communicant.info : Donc peut être que les low tech sont l’avenir de la culture ?

Ce qui est intéressant dans les low-tech, c’est leur résilience, c’est une technologie robuste, facilement accessible, quels que soient les conditions de son déploiement (crise de pénurie, d’expertise). Et je pense que ce qui fait qu’une société est résiliente et robuste, que nous puissions affronter une crise environnementale et sociétale, c’est la culture, c’est à cela qu’elle sert… Je vois beaucoup de synergies entre les deux démarches !

Auteur
Je m’appelle Cyril Leclerc. Je propose, en tant qu’indépendant, du conseil et de l’accompagnement en communication dans les domaines culturels et artistiques. Diplômé en Histoire de l’Art et en Ingénierie culturelle, je me suis, au fil de mon parcours, spécialisé dans la communication culturelle, jusqu’à en faire mon métier. J’ai notamment été pendant sept années, chargé de la communication culturelle à l’Abbaye aux Dames, la cité musicale (Saintes – France). Je m’intéresse particulièrement à la façon dont on peut mettre les outils marketing au service de projets culturels et comment la communication peut enrichir un projet culturel, lui apporter du sens…