Culture soutenableNumériqueSupports de communication

Dossier « Vers un numérique responsable » : Entretien avec Aurélie Baton

Comment peut-on changer ses pratiques pour aller vers un numérique plus responsable ? Et quelles sont les bonnes questions à se poser avant de mettre en place un service numérique responsable ? Nous avons interrogé Aurélie Baton, de l’association Les Designers Éthiques.

Communicant.info : Bonjour Aurélie, pouvez-vous nous présenter Les Designers Éthiques ?

Aurélie Baton : Designers Éthiques est une association de recherche-action sur les questions éthiques en conception numérique (design de l’attention, écoconception, design systémique, inclusion, accessibilité). L’association a pour objectif de mener une réflexion sur les pratiques de design et d’aider les professionnels à mettre en œuvre ces pratiques dans leur quotidien. Les activités principales de l’association sont notamment :
– La recherche dans le domaine du design éthique et responsable et le partage au sein de la communauté
– La création d’outils et de ressources sur ces thèmes
– La sensibilisation et la formation sur les sujets de design éthique et responsable. Des ateliers et formations sont dispensés aux particuliers et entreprises.
– La conférence Ethics by Design qui a lieu tous les 2 ans. D’ailleurs, la dernière édition était il y a peu (du 16-18 novembre) et les replays des conférences seront bientôt disponibles sur notre PeerTube Videos – Designers Ethiques – PeerTube
Au sein de l’association, je suis notamment co-chargée du programme écoconception, avec ma collègue Anne Faubry.

« Il y a de plus en plus d’entreprises qui clament faire du numérique responsable, mais dont le produit ou service vendu va clairement à l’encontre de la protection de l’environnement, de l’humain, ou de la biodiversité. »

Communicant.info : Qu’entend-t-on par service numérique responsable ou durable ?

Aurélie Baton : Un service numérique responsable est un service conçu avec l’objectif de réduire au maximum son empreinte environnementale, mais pas uniquement. Il doit aussi être accessible au plus grand nombre (accessibilité numérique), et s’inscrire dans une démarche globale éthique et sociale.
C’est là qu’est le risque de greenwashing auquel on fait face en ce moment. Il y a de plus en plus d’entreprises qui clament faire du numérique responsable, mais dont le produit ou service vendu va clairement à l’encontre de la protection de l’environnement, de l’humain, ou de la biodiversité.
Le terme de numérique responsable est parfois critiqué car il induit que la responsabilité incombe au service et non aux personnes impliquées dans la création de ce service.

Communicant.info : Comment peut-on changer ses pratiques pour aller vers un numérique plus responsable ?

Aurélie Baton : En tant que concepteur, la première chose à faire est de se poser la question de la nécessité de la numérisation. Est-ce que mon service à besoin d’être numérisé ? Quels sont les réels besoins ? Est-ce que tout le service doit être numérisé ou seulement une partie ? Qui est-ce qu’on risque d’exclure des personnes en numérisant ? Une fois que l’on s’est posé cette question, on prend le temps de clairement définir le besoin essentiel. Il faut savoir qu’une grande partie des fonctionnalités développées (environ 45%) sont peu ou jamais utilisées. Et en réduisant les fonctionnalités à l’essentiel on réduit également son empreinte environnementale et la dette technique.
Ensuite, il y a un certain nombre de bonnes pratiques qui peuvent être appliquées tant au niveau du cadrage et du design qu’au niveau du développement. Il existe plusieurs guides et référentiels sur le sujet (Aurélie a bien voulu nous proposé une liste de ces derniers ci-dessous). Chacun a son rôle à jouer dans le changement des pratiques. Il s’agit également de sensibiliser et d’expliquer la démarche et ses avantages à ses collègues, équipes, clients, etc. L’objectif est de se poser des questions, de remettre en question certains automatismes, et de mettre en place des changements dans une démarche d’amélioration continue.
En tant qu’utilisateur du numérique un des gestes principaux consiste à limiter le plus possible l’acquisition de nouveaux appareils et de les garder le plus longtemps possible (on oublie donc l’idée du nouvel iPhone pour Noël ou de la nouvelle TV 4K). Il existe d’autres gestes pour faire un usage raisonné du numérique (voir la liste préparée par Aurélie ci-dessous), et cela ne peut que bénéficier à notre bien-être.
Il est important de garder à l’esprit que l’écoconception doit s’inscrire dans une démarche globale, et qu’elle n’est qu’une partie du puzzle. La démarche d’écoconception à elle-seule ne peut pas suffire à réduire l’impact global d’une organisation.

Communicant.info : Appel à l’action, notifications, aspect intrusifs… peut-il y avoir des dérives dans le fait d’interagir – via le numérique – avec ses publics ?

Aurélie Baton : Un autre sujet très vaste qui pourrait faire l’objet d’un autre article (sourires). Mais pour faire le pont avec l’écoconception et l’accessibilité, effectivement les mécanismes utilisés pour capter l’attention des utilisateurs vont également à l’encontre d’un service sobre et accessible. Par exemple, la lecture automatique de vidéos (autoplay), le défilement infini (infinite scroll), les notifications intempestives, sont conçues pour l’utilisateur restent le plus longtemps possible sur le site ou l’application. Cela engendre donc un accroissement de l’impact environnemental ainsi que des problèmes d’accessibilité numérique.

« Aller vers un numérique plus responsable est une brique d’une démarche plus globale et systémique. »

Communicant.info : Vous concevez des sites internet (comme le site pour l’exposition Celtique du Musée de Bretagne)… Quand l’objectif de ces derniers est de générer de l’engagement, des visites, des clics, des ventes sur la billetterie, est-ce vraiment conciliable avec des pratiques plus vertueuses ?

Aurélie Baton : Justement, l’objectif du site de l’exposition Celtique ? n’est pas de générer des clics, ni de remplacer une visite en physique. Il s’agit d’un site de présentation des œuvres avec leur contexte et leur histoire. L’objectif était de permettre l’accès aux ressources au plus grand nombre et de rendre ces ressources accessibles même après la fermeture de l’exposition. La volonté du musée était vraiment d’ouvrir les ressources en Creative Commons comme il le font déjà. Il n’y a pas de démarche commerciale derrière. Il s’agit de diffuser de la connaissance, ce qui devrait être le rôle premier d’Internet. Vous pouvez retrouver les informations sur la démarche ici Expo Celtique ? – Ecoconception. Mais bien sûr, ces considérations sont des préoccupations qui concernent de nombreux acteurs du numérique essayant de mettre en place une démarche plus responsable. D’où le fait que le numérique “responsable” ne s’arrête pas à l’aspect environnemental. Il s’agit ici de repenser nos pratiques et nos modèles économiques. Le financement de nombreux services numériques se fait par la pub et la vente de données personnelles, la question du financement est donc primordiale. Devrait-on par exemple comme le suggère Gerry McGovern repasser à des services payants pour les services “gratuits” que nous utilisons ? Ou encore contribuer plus activement au développement d’outils open source (libres) ou à leur financement. Aller vers un numérique plus responsable est une brique d’une démarche plus globale et systémique.

Quelques références

Guides et référentiels de bonnes pratiques écoresponsables
Le guide d’écoconception de services numériques – Designers Éthiques
Livre : Ecoconception web : les 115 bonnes pratiques – Eyrolles et GitHub – GreenIT
Référentiel général d’écoconception de services numériques (RGESN) – MiNumCo

GR491 – Guide de conception responsable
Sobriété éditoriale – 50 bonnes pratiques pour écoconcevoir vos contenus web – Ferréole Lespinasse

Numérique responsable
Le guide d’un numérique plus responsable – La librairie ADEME
Le guide de la communication responsable – nouvelle édition enrichie – La librairie ADEME
Sobriété numérique , Les clés pour agir – Frédéric Bordage – Leslibraires.fr

Auteur
Je m’appelle Cyril Leclerc. Je propose, en tant qu’indépendant, du conseil et de l’accompagnement en communication dans les domaines culturels et artistiques. Diplômé en Histoire de l’Art et en Ingénierie culturelle, je me suis, au fil de mon parcours, spécialisé dans la communication culturelle, jusqu’à en faire mon métier. J’ai notamment été pendant sept années, chargé de la communication culturelle à l’Abbaye aux Dames, la cité musicale (Saintes – France). Je m’intéresse particulièrement à la façon dont on peut mettre les outils marketing au service de projets culturels et comment la communication peut enrichir un projet culturel, lui apporter du sens…