Museum ConnectionsPublics

Museum Connections – Entretien avec Jeanne Barral (Fondation Cartier)

Pour développer leur rôle en matière d’éducation, les lieux culturels innovent dans leur rapport à la médiation. C’est le cas de la Fondation Cartier pour l’art contemporain, qui a pu, en profitant de la scénographie sous forme d' »exposition école » proposée par l’artiste Fabrice Hyber, mettre en place « un programme pédagogique d’ampleur inédite ». Jeanne Barral, conservatrice, a accepté de nous détailler celui-ci…

Bonjour Jeanne, pouvez-vous vous présentez brièvement ?
Je suis conservatrice à la Fondation Cartier pour l’art contemporain, où je coordonne l’actuelle exposition de Fabrice Hyber « La Vallée » ainsi que son programme pédagogique.

« Une œuvre totale autant qu’un laboratoire pour une nouvelle façon d’apprendre et d’écrire un paysage. »

Pouvez-vous nous présenter le projet « La Vallée » que vous avez mis en place ? 
Fabrice Hyber a imaginé son exposition « La Vallée » à la Fondation Cartier pour l’art contemporain comme une école pour partager une façon d’apprendre basée sur l’expérience, née dans la Vallée, cette forêt qu’il a semée en Vendée autour de l’ancienne ferme de ses parents, éleveurs de mouton. Ayant grandi près de Luçon dans les années 1960-1970, il a vu se développer une agriculture intensive et le remembrement transformer les paysages. En semant une forêt de 100 hectares, il a fait barrière à cette transformation et créé une œuvre totale autant qu’un laboratoire pour une nouvelle façon d’apprendre et d’écrire un paysage. Avec « La Vallée », il souhaite transmettre ce qu’il a appris sur place. L’exposition, par sa scénographie qui rappelle les salles de classe autant que les cours de récréation, encourage le visiteur à s’instruire, se déplacer, ouvrir des portes, regarder par-dessus des fenêtres, enjamber des formes, jouer, mais aussi s’asseoir sur un banc ou face à un bureau pour observer les œuvres qui servent de tableaux noirs à cet apprentissage.

« Des cours ouverts à tous les visiteurs sont proposés chaque par des médiateurs spécialistes de sujets aussi divers que les mesures du monde, les formes des fruits, l’hybridation des corps, la météo »

Fabrice Hyber y met en scène diverses manières d’apprendre à partir d’un tableau. Dans de courtes vidéos accessibles via des QR codes apposés sur les cartels des 70 œuvres présentées dans l’exposition, l’artiste parcourt à nouveau le cheminement mental qui a présidé à leur création. Il invite le visiteur à s’appuyer sur les brèches ouvertes par les toiles pour formuler ses propres hypothèses, faire ses propres associations : « Ce qui est important dans une école selon moi, plus qu’apprendre des choses, c’est apprendre à les regarder, à observer comment elles évoluent. » Des cours ouverts à tous les visiteurs sont proposés chaque par des médiateurs spécialistes de sujets aussi divers que les mesures du monde, les formes des fruits, l’hybridation des corps, la météo, le sport, le jeu, la digestion ou encore la transformation. Un programme pédagogique ambitieux propose l’accueil de quinze « classes en résidence » de primaire et de lycées horticoles de Vendée et de région parisienne qui travaillent tout au long de l’année sur les thématiques soulevées par l’œuvre de Fabrice Hyber. Elles sont accueillies dans son atelier en Vendée et à la Fondation Cartier de façon régulière. Ces rencontres feront l’objet d’un film documentaire. Par ailleurs, des cours du soir « Les Voix de la Vallée », dispensés en duo par des experts dans leurs domaines, sont enregistrés en public chaque semaine dans les salles d’exposition et sont également accessibles sous forme de podcasts. Ces échanges sont l’occasion d’éprouver les hypothèses proposées par l’artiste dans ses œuvres traitant des sciences de la vie, de physique quantique, de langage et d’agriculture. En faisant se rencontrer un chef et un jardinier, une athlète et un philosophe, une climatologue et une écrivaine, un chorégraphe et une sexologue, ou encore un paysagiste et une historienne de l’art, « Les Voix de la Vallée » assemblent les savoirs, reflétant en cela toute la richesse de la démarche artistique de Fabrice Hyber.

vue de l’exposition La Vallée / Fondation Cartier
Vue de l’exposition La Vallée / Fondation Cartier / Crédit photo : Michel Slomka / MYOP – Lumento

« Un programme sur mesure… »

Comment celui-ci s’intègre dans votre politique de relation avec les publics ?
C’est un programme sur mesure, qui est constitutif de l’exposition et de son propos curatorial. Ce programme pédagogique d’ampleur inédite s’ajoute à tout ce que nous mettons en place habituellement en direction des publics, qu’ils soient scolaires, jeunes, ou éloignés du monde de l’art, avec notre équipe de médiateurs culturels qui accompagnent l’ensemble des visiteurs, la mise à disposition d’outils dédiés comme les guides visiteur et jeune public, ou la médiation augmentée, donnant accès à des contenus spécifiques à découvrir sur l’écran de son smartphone via des QR codes. Dans le cadre de la préparation de cette exposition, nos médiateurs ont reçu une formation approfondie afin d’aborder les différents thèmes soulevés par les œuvres de Fabrice Hyber. Elle s’est appuyée sur des rencontres avec l’artiste, des fiches pédagogiques préparées par différents contributeurs de l’exposition, ainsi que des recherches personnelles, dans des domaines aussi variés que l’agriculture, la météorologie, l’intelligence des arbres, le paysage, le corps, ou les mutations du vivant. Nos médiateurs partagent ensuite ces savoirs avec les visiteurs à l’occasion de temps de parole organisés toutes les heures au sein de l’exposition.

Faire venir des classes en résidence au sein d’un lieu culturel, cela demande sans nul doute une grosse organisation ? 
Nous avons engagé une personne pour travailler à plein temps à la façon de traduire les œuvres de l’artiste dans les programmes scolaires et coordonner ce projet. Les classes en résidence profitent de l’exposition lorsque celle-ci est fermée au public, les lundis et les matins avant 11h, afin de s’approprier les espaces de façon privilégiée. Nous avons mis en place ce programme de manière collaborative, en nouant très en amont des partenariats avec les académies de Créteil, Paris et Nantes, ainsi qu’avec le Ministère de l’Agriculture, qui nous a notamment permis d’accueillir le lycée professionnel agricole de Luçon en Vendée et l’école horticole du Breuil à Vincennes. Il a fallu également trouver des solutions au cas par cas pour financer le déplacement des élèves. Nous avons d’autre part développé avec chaque enseignant un projet pédagogique spécifique, associant les médiateurs pour proposer des ateliers de pratique artistique. Des moments uniques de rencontre avec l’artiste complètent ce dispositif.

Ce projet est-il amené à se répéter avec d’autres artistes / expositions ? Si non pourquoi ?
Chaque exposition est unique mais ce projet pédagogique ambitieux est une expérience très bien accueillie par les participants, l’équipe et l’artiste.
Dès lors, nous avons à cœur d’inscrire cette démarche inédite à notre dispositif d’accueil des publics. Certaines actions ont ainsi vocation à être pérennisées, comme la mise en place d’un vernissage dédié aux publics scolaires et du champ social, des partenariats pédagogiques au long cours avec certains établissements… Et aussi de nouveaux temps forts à destination des jeunes publics et des familles, comme la « Hyber Parade » invitant les visiteurs à confectionner leurs costumes inspirés des héros hybériens pour défiler dans les salles d’exposition, les visites contées pour les 3 à 5 ans, ou les ateliers intergénérationnels faisant interagir parents et enfants.

Photographies : Luc Boegly et Michel Slomka / MYOP – Lumento

Auteur
Je m’appelle Cyril Leclerc. Je propose, en tant qu’indépendant, du conseil et de l’accompagnement en communication dans les domaines culturels et artistiques. Diplômé en Histoire de l’Art et en Ingénierie culturelle, je me suis, au fil de mon parcours, spécialisé dans la communication culturelle, jusqu’à en faire mon métier. J’ai notamment été pendant sept années, chargé de la communication culturelle à l’Abbaye aux Dames, la cité musicale (Saintes – France). Je m’intéresse particulièrement à la façon dont on peut mettre les outils marketing au service de projets culturels et comment la communication peut enrichir un projet culturel, lui apporter du sens…