Constituer une communauté autour d’un commun : un lieu, une pratique, un centre d’intérêt. C’est l’idée d’une communauté patrimoniale. Une opportunité pour créer un sentiment d’appartenance à un lieu, d’inclure des récits pluriels… Au château de Goutelas, labellisé Centre Culturel de Rencontre, l’équipe a pu expérimenter la mise en place d’une communauté matrimoniale sur le rôle et la place des femmes à Goutelas. Sarah Wasserstrom, chargée de la coordination, de la programmation et de l’action culturelle, a bien voulu nous expliquer la démarche entreprise, en marge des rencontres de Goutelas.
Bonjour Sarah, pouvez-vous nous présenter le château de Goutelas et votre rôle au sein de ce Centre Culturel de Rencontre (CCR) ?
Sarah Wasserstrom : Le Château de Goutelas est labellisé CCR depuis 2015 avec une quinzaine de salariés. C’est une association qui gère le château et porte le projet depuis sa création en 1961. C’est un château renaissance qui se trouve dans la Loire en Auvergne-Rhône-Alpes. Le projet de l’association a d’abord consisté à restaurer et reconstruire le lieu. mais il s’est rapidement accompagné de rencontres interculturelles sur le thème « humanisme, droit et création ». Ce projet culturel se poursuit encore aujourd’hui avec une programmation annuelle, des temps forts et aussi une activité réceptive (accueil de groupes, de séminaires, des universités, de particuliers). Au sein du CCR, je suis chargée de la coordination, de la programmation et de l’action culturelle.
Vous êtes donc directement associée à cette démarche de constitution d’un communauté matrimoniale ?
Sarah Wasserstrom : J’ai effectivement été associée à cette démarche autour d’une balade matrimoniale et de la constitution d’une communauté nouvelle autour du patrimoine, de l’histoire et de la mémoire du Château de Goutelas.
« On ne considère pas vraiment que l’on travaille avec des publics »
Comment est-ce que l’on constitue une communauté patrimoniale (ou matrimoniale dans le cas du Château de Goutelas)? Comment inclure sans exclure (dans la mesure où la notion de communauté peut être excluante) ?
Sarah Wasserstrom : Cette notion de communauté, dans la Convention de Faro et dans le référentiel des droits culturels, n’est pas quelque chose qui exclut. Ce sont des personnes qui se retrouvent autour
d’un commun, se réunissent autour de celui-ci. Ce commun qui peut être de nature différente : un lieu comme le Château de Goutelas, une pratique, un intérêt. De ce fait, cela reste très ouvert. C’est cette définition très ouverte de la communauté que l’on avait en tête lorsque l’on a démarré ce projet avec Les oiseaux de passage, la coopérative qui nous a accompagné tout au long de ce processus de balade matrimoniale.
Cette communauté, nous l’avons constituée en nous appuyant sur les premières personnes qui se sont intéressées au sujet de la place et du rôle des femmes à Goutelas. Et, petit à petit, cela s’est élargi au territoire autour du château (le territoire du Forez). Les premières personnes intéressées ont servis de relais vers d’autres personnes qui ont rejoint la communauté pour préparer la balade.
Dans votre cas, on est clairement dans une posture volontaire des personnes constituant cette communauté. Avez-vous mis en place une façon particulière de procéder ? Ou avez-vous décidé d’évoluer dans votre pratique par rapport aux publics pour ne plus être « en surplomb » par rapport à ces derniers ?
Sarah Wasserstrom : Goutelas a pour habitude d’associer dans sa gestion, dans sa programmation des habitants du territoire ou se reconnaissant du territoire. Par exemple, on ne considère pas vraiment que l’on travaille avec des publics.
Bien sûr, quand on organise un spectacle, on invite des gens à y participer en tant que publics. Mais de le cas de cette démarche de communauté patrimoniale, nous sommes dans une approche partenariale : les personnes que nous avons approchées n’étaient pas des « publics » mais des personnes ressources. Dans le petit groupe qui a construit la balade matrimoniale, il y avait des salariés, des bénévoles de l’association, une élue, une référente sur le territoire Pays d’Art et d’Histoire… On n’était pas dans la posture d’un lieu culturel qui veut toucher du public.
« Déterminer comment chacun et chacune, à sa place, peut mobiliser des ressources différentes »
Il y a donc une certaine forme de réciprocité qui est organisée. On est donc loin d’un modèle descendant, pyramidal ?
Sarah Wasserstrom : On est effectivement plutôt sur un modèle horizontal où l’on essaye de déterminer comment chacun et chacune, à sa place, peut mobiliser, apporter des ressources différentes.
Comment avez-vous travaillé l’acceptation par l’équipe du Centre Culturel de Rencontre que le récit porté via cette balade matrimoniale puisse venir « déconstruire un récit habituel », institutionnel ou dominant ?
Sarah Wasserstrom : A Goutelas, il y a effectivement un récit institutionnel, mais les récits ont toujours été travaillés à plusieurs voix. On a, par exemple, des visites « points de vue » proposées par des bénévoles qui apportent des regards très différents. Un musicien va parler du Jazz à Goutelas, une professeure de Lettres va parler du roman de L’Astrée… Donc on a déjà cette habitude des récits multiples.
Le récit autour des femmes a apporté une controverse, un regard différent.. En effet, il mettait en avant le fait que les femmes avaient été invisibilisées dans l’histoire du château. Mais cela est bien accepté et porté par l’équipe actuelle. Cela n’est pas à cet endroit qu’il y a eu des difficultés..
Ce qui a été plus dur, c’est de choisir le sujet, le thème prioritaire pour tester ce procédé de balade patrimoniale, car beaucoup de thématiques auraient pu être mise en valeur au travers de cette méthode. Il s’agissait plutôt de se demander si ce récit, certes pertinent, n’aurait pas pu laisser place à une autre thématique : « Goutelas et l’agriculture » par exemple… Il a fallu faire un choix et c’est celui des femmes qui a été choisi car c’est là qu’il y avait plus de matière réunie.
« Commencer par un enjeu qui est celui du moment, ou que font remonter des partenaires ou des usagers du lieu. »
Le choix de ce récit a-t-il annulé les autres ou est ce que vous envisagez de les traiter ultérieurement ?
Sarah Wasserstrom : Au contraire, les autres sujets pourront être utilisés en reprenant cette méthode de la balade matrimoniale. il y aura donc d’autres moyens de les valoriser. C’est juste qu’il fallait choisir un sujet pour ce moment « test » de la rencontre proposée par l’ACCR.
Est ce que vous pensez que ce procédé de constitution de communauté patrimoniale est transposable dans n’importe quelle lieu culturel (un musée, théâtre) ? Si oui quels conseils vous leur donneriez pour se lancer ?
Sarah Wasserstrom : C’est vraiment une façon de reconnaître les personnes qui gravitent autour d’un lieu, d’un projet culturel de façon différente avec cette idée de communauté autour d’un commun. Le patrimoine ne se limite pas aux lieux historiques et aux musées. Chaque organisation culturelle a un patrimoine, une histoire impliquant un certain nombre de personnes…
La meilleure façon de s’y prendre c’est de se poser la question : « Qu’est ce que qui fait commun pour toutes les personnes impliquées dans la vie du lieu ? ». Et ensuite il s’agit de dégager, de cibler les portes d’entrée pour éviter de vouloir fédérer autour de toute l’histoire ou tout le projet d’un lieu ». Pour cela, je conseillerais modestement de commencer par un enjeu qui est celui du moment, ou que font remonter des partenaires ou des usagers du lieu.
Il y a donc une nécessité de cadrer un petit peu les choses. Dans cette optique, est ce qu’il faut que ce soit le lieu qui aille au territoire ou l’inverse ?
Sarah Wasserstrom : Je dirais que c’est un aller-retour. Le lieu doit montrer une volonté d’ouverture, mais il doit aussi sortir hors les murs. C’est ce que nous avons fait à Goutelas. Nous sommes allés voir les femmes que nous voulions associer à la mise en place de cette balade matrimoniale chez elles ou dans le lieu où elle travaillent… Aller à la rencontre des personnes, les rencontrer « dans leur élément » était un point important.
* Interview réalisée en marge des Rencontres de Goutelas, organisées par l’ACCR