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Museum Connections – S’engager pour la biodiversité – Entretien avec Virginie Donzeaud et Misty Montéville (Musées d’Orsay / Orangerie)

Quand on pense démarche environnementale, on pense souvent à la réduction des Gaz à effet de serre. Pourtant dans l’équation des limites planétaires, endiguer l’érosion de la biodiversité constitue un enjeu majeur, connecté au changement climatique.
Que faire pour la biodiversité quand on est un lieu comme l’Établissement public du Musée d’Orsay et du Musée de l’Orangerie (EPMO) ? L’ambition s’annonce à priori incompatible avec ces deux sites insérés dans un dense tissu urbain et anthropisé ?

L’équipe de l’EPMO a initié un projet contribuant à la valorisation des berges de la Seine, à Argenteuil. Un lieu qui inspira des impressionnistes comme Monet ou Sisley… Nous avons échangé avec Virginie Donzeaud et Misty Montéville, respectivement administratrice générale adjointe et chargée de mission RSO au sein de l’EPMO.

Bonjour, pouvez-vous vous présenter brièvement ?
Virginie Donzeaud : Je suis administratrice générale adjointe de l’Établissement public du musée d’Orsay et du musée de l’Orangerie-Valéry Giscard d’Estaing, depuis septembre 2020. Dans le cadre de mes fonctions, je pilote notamment notre politique de transition écologique et sociale, ou RSO (responsabilité sociétale des organisations) dans notre jargon. Je travaille depuis plus de vingt ans au sein du ministère de la Culture, où j’ai occupé diverses fonctions, notamment à l’École nationale supérieure des beaux-arts de Paris ainsi qu’au sein du Secrétariat général.

Misty Montéville : Je suis chargée de mission RSO au musée d’Orsay et au musée de l’Orangerie, un poste que j’occupe depuis sa création il y a maintenant deux ans, après un double master en sciences et politiques de l’environnement. Sous le pilotage de Virginie, je coordonne la mise en œuvre de notre plan d’action pour la transition écologique et sociale, en lien avec toutes les équipes de notre établissement.

Lors de la mise en place de votre stratégie RSO, vous vous êtes interrogées sur le rôle sociétal de l’EPMO. Comment le positionnez-vous par rapport aux enjeux sociétaux ?
VD : Nos musées sont des lieux ouverts sur le monde, accessibles à tous. Ce sont des lieux démocratiques par excellence. Avec la définition de notre stratégie nous nous sommes interrogés sur la place des musées dans la société, quel est leur rôle ? comment interagissent-ils avec la société ? Quelle est notre responsabilité ? C’est pour nous obliger à ce questionnement permanent que nous avons engagé une stratégie de responsabilité sociétale, à travers laquelle nous nous engageons tant sur la transition écologique que vis-à-vis des enjeux sociaux comme le handicap ou l’égalité femmes-hommes.

MM : Nous venons par exemple de signer un partenariat avec l’Institut de l’engagement, qui travaille avec des jeunes engagés en service civique. On peut aussi citer notre partenariat avec l’association SAMA for all, qui travaille avec des réfugiés, ou encore avec l’association Culture et Diversité, qui a pour objectif de favoriser l’accès à la culture pour les jeunes issus de milieux modestes.

« Nous avons donc eu l’idée de nous appuyer sur ces représentations impressionnistes pour construire avec la ville d’Argenteuil un projet de re-végétalisation sur une partie de ces berges en partant de l’étude de nos collections. »

Dans le cadre d’une collaboration avec la ville d’Argenteuil, vous avez-mis en place un projet contribuant à la valorisation des berges de la Seine ? Pouvez-vous nous le présenter ainsi que les échéances de celui-ci ?
VD : En travaillant à la préparation d’un partenariat culturel avec la ville d’Argenteuil, au nord-est de Paris, en 2021, nous y avons vu l’opportunité d’un projet nouveau lié aux représentations des paysages d’Argenteuil par les peintres impressionnistes. Argenteuil est un haut lieu pour l’Impressionnisme ; Monet y a vécu plusieurs années, ainsi que Sisley et Caillebotte. Ils y sont venus grâce au train, attirés par les loyers moins chers que Paris et les paysages en pleine transformations. Nous avons une quinzaine de tableaux qui représentent les paysages d’Argenteuil dans nos collections – Monet en a peint plus de 180 à lui tout seul ! Or, nous avons constaté que les berges de la Seine, représentées à maintes reprises par ces peintres, n’étaient aujourd’hui plus valorisées sur certaines portions. Nous avons donc eu l’idée de nous appuyer sur ces représentations impressionnistes pour construire avec la ville d’Argenteuil un projet de re-végétalisation sur une partie de ces berges en partant de l’étude de nos collections.

MM : Il s’agit d’un projet très innovant. Ce travail commencé en 2022 est mené de façon pluridisciplinaire et en lien avec les équipes de la Ville. De notre côté, les équipes de la conservation et de la documentation ont commencé à documenter les représentations impressionnistes de ces berges, nous permettant de réfléchir à l’environnement qui peut être recréé sur ces berges. Toujours en gardant ce double objectif en tête : séquestration du carbone, et préservation de la biodiversité.

En quoi ce projet va particulièrement bénéficier à la biodiversité ?
MM : En termes de biodiversité, ce projet porte plusieurs objectifs. D’abord, lutter contre les espèces invasives, notamment la renouée du Japon, une plante qui a pris possession des berges. Ensuite, valoriser la biodiversité déjà présente sur le site en la diagnostiquant pour mieux la protéger. Il s’agit enfin de déminéraliser des portions aujourd’hui sous béton, pour les végétaliser et permettre une continuité « verte ».

« Nous souhaitons que ces berges deviennent un lieu de vie pour les habitants, où ils pourront en apprendre autant sur les impressionnistes que sur la biodiversité… »

Comment les publics de la commune d’Argenteuil sont-ils sensibilisés via ce projet ? Comment celui-ci peut être un moyen de les reconnecter au vivant ?
MM : Le partenariat avec Argenteuil a été lancé en 2022, et sur cette première année nous avons financé la création d’un jardin écologique dans un tiers lieu argenteuillais. Ce jardin a pour but de rendre ce lieu plus vivant et plus ouvert à tous les habitants. Nous avons travaillé avec la ville pour y proposer une signalétique de sensibilisation autour des enjeux carbone et biodiversité. Le projet des berges de Seine se déroule sur du plus long terme, avec des premiers aménagements visés pour 2024.

VD : Un travail s’engage avec la ville autour de la sensibilisation des publics, c’est un sujet auquel nous prêtons une forte attention. Nous souhaitons que ces berges deviennent un lieu de vie pour les habitants, où ils pourront en apprendre autant sur les impressionnistes que sur la biodiversité, et sur l’importance de la lutte contre le dérèglement climatique. Nous travaillons aussi en lien avec la ville et nos équipes à intégrer une dimension sociale à ce projet, en incluant une démarche d’insertion professionnelle tournée vers les jeunes de 16 à 25 ans en difficulté. L’idée est de proposer un projet à multiples volets, intégrant tous ces enjeux très actuels.

Berges d’Argenteuil aujourd’hui. on aperçoit la Renouée du Japon au premier plan à droite

« Avoir le « réflexe environnemental » dans l’ensemble de nos actions, dans toutes ces dimensions. »

Avez-vous prévu de travailler avec des spécialistes de la biodiversité (inventaire faunistique et floristique) pour mesurer l’impact de ce projet ?

MM : Nous avons associé à ce projet deux scientifiques qui nous apportent une aide précieuse : Eric Joly, botaniste et ancien directeur du jardin des plantes à Paris, et Luc Abbadie, écologue, directeur de l’Institut pour la transition environnementale à Sorbonne Université. Ils nous apportent leurs regards d’experts sur ces enjeux qui ne font pas partie de notre cœur de métier. Par ailleurs, la ville d’Argenteuil est en train de réaliser un inventaire environnemental de la biodiversité aujourd’hui présente sur le site des berges. On peut envisager que cette opération soit renouvelée pour mesurer l’impact du projet sur le long terme.

Pour la biodiversité, imaginez-vous des actions au sein de votre musée qui puissent être bénéfique à celle-ci (restauration, ressources utilisées pour les expositions, durée de vie des appareils numériques, produits de la boutique…) ?

VD : A première vue, nos musées peuvent sembler assez éloignés des enjeux de la biodiversité. Nous sommes implantés en plein Paris, avec des bâtiments très minéraux et sans espace disponible pour des jardins. Mais il faut penser au-delà des images de « nature » que l’on peut avoir à l’esprit. Lutter contre l’érosion de la biodiversité, c’est aussi réduire l’utilisation du plastique, réfléchir aux produits que l’on propose dans nos espaces de restauration, chercher à moins consommer de ressources naturelles… Tous ces enjeux, nous les prenons en compte dans notre politique de transition écologique, qui repose sur trois piliers : sobriété énergétique, décarbonation, économie des ressources.

MM : Il est important de souligner que la lutte contre le dérèglement climatique et la lutte contre l’érosion de la biodiversité sont indissociables. On a tendance à oublier le sujet biodiversité, mais un monde à 1.5° sans biodiversité est un monde mort. Notre mission est donc de prendre en compte ce double enjeu dans l’ensemble de nos activités.

VD : Au fond notre objectif est simple : avoir le « réflexe environnemental » dans l’ensemble de nos actions, dans toutes ces dimensions. 

Auteur
Je m’appelle Cyril Leclerc. Je propose, en tant qu’indépendant, du conseil et de l’accompagnement en communication dans les domaines culturels et artistiques. Diplômé en Histoire de l’Art et en Ingénierie culturelle, je me suis, au fil de mon parcours, spécialisé dans la communication culturelle, jusqu’à en faire mon métier. J’ai notamment été pendant sept années, chargé de la communication culturelle à l’Abbaye aux Dames, la cité musicale (Saintes – France). Je m’intéresse particulièrement à la façon dont on peut mettre les outils marketing au service de projets culturels et comment la communication peut enrichir un projet culturel, lui apporter du sens…