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Museum Connections – Entretien avec Philippe Platel / festival Normandie Impressionniste

La mobilité des publics, un poids non négligeable dans l’empreinte carbone des acteurs culturels…. La culture et les loisirs sont la troisième cause de déplacement des français après le travail et les achats. et dans son rapport (Décarbonons la culture) Le Shift Project estimait qu’un festival rassemblant 280000 personnes en zone isolée provoque entre 7 et 8000 tonnes d’équivalent Co2 pour la mobilité de ses spectateurs. Dès lors, que mettre en place quand on propose un festival sur un vaste territoire avec des distances parfois longues entre les différents sites concernés ? Nous en avons parlé avec Philippe Platel, directeur du festival Normandie Impressionniste.

Bonjour Philippe, pouvez-vous vous présenter et présenter brièvement le Festival « Normandie impressionniste »?
Bonjour, je suis le directeur du festival Normandie Impressionniste depuis un an et demi. Avant cela, j’avais passé 12 ans à la RMN Grand Palais puis je suis parti 5 ans en Australie en tant qu’attaché culturel. Je connaissais le festival pour avoir participé à la coproduction de certaines expositions d’éditions passées (pour la RMN). Le festival a été créé il y a 12 ans et aborde sa 5e édition en 2024. Ce sera une édition très spéciale pour les 150 ans de l’Impressionnisme, marquant la nouvelle dynamique de programmation, réunissant histoire et création contemporaine, par toutes les disciplines, et activant les acteurs culturels de tout le territoire normand.

« Cette question de la mobilité est apparue comme une évidence pour moi, et il se trouve que c’est un défi partagé par nos collectivités locales. »

Un festival disséminé dans toute la région Normandie, un récit proposé sur tout un territoire sur plusieurs mois… Mais de ce fait une empreinte carbone due aux mobilités des publics conséquente. Quand avez-vous pris conscience de celui-ci ?
C’est en effet la singularité du festival dans le paysage français : il est présent dans toute la Normandie et jouant sur le temps long pour déployer son récit. Nous encourageons le public à circuler dans toute la Normandie pour ne rien rater des événements proposés qui sont tous de grande qualité. Cette proposition contient, en effet, un risque que le public privilégie des modes de transport non vertueux. J’ai tout simplement réalisé cela en allant visiter les différents sites où des projets pourraient avoir lieu pour le festival en 2024. En programmant mes déplacements, n’ayant moi-même pas de voiture, j’ai vite été confronté à ce frein potentiel à la visite. Il arrive qu’un trajet en train prenne 2 fois plus (sinon plus) de temps qu’en voiture. Il arrive aussi qu’il soit plus simple de repasser par Paris. En programmant un festival comme le nôtre, nous sommes très vite confrontés à des défis nationaux. Cette question de la mobilité est apparue comme une évidence pour moi, et il se trouve que c’est un défi partagé par nos collectivités locales.

« Le déplacement est un aspect qui est pris en compte par les publics / voyageurs eux-mêmes. Nous ne pouvons plus nous abstraire de cette réflexion »

Vous êtes aussi tributaire du réseau de transports de la région, mais aussi du budget que vous pouvez consacrer à ces problématiques… Comment composez-vous avec ces contraintes ?
La première étape de la réflexion consiste en effet tout d’abord à dresser une cartographie complète de l’existant. Le réseau ferroviaire est très riche et les trains Nomad de la région offrent un très grand confort aux voyageurs, c’est déjà un bon point de départ. Nous nous penchons aussi sur le réseau des bus qui recèle des trésors. Enfin il y a un réseau très riche de pistes cyclables qui permet de profiter des paysages normands autrement. Le vélo ne fera pas tout bien entendu. Tout le monde ne peut pas ou ne souhaite pas passer ses vacances sur un vélo. Mais cela peut être un complément intéressant localement. On peut par exemple se rendre à la magnifique Abbaye de Jumièges en bus depuis Rouen. Mais le trajet à vélo offre une toute autre expérience, permettant de profiter pleinement d’une journée dans le cadre extraordinaire des boucles de la Seine. Dans certains cas, il y a aussi des lieux qui ne sont tout simplement pas accessibles du tout par les transports en communs (le vélo peut toucher une partie du public mais pas tout le monde). Alors que peut-on faire ? Le festival ne doit pas se limiter aux grandes villes accessibles. Animer des zones plus rurales fait partie de notre ADN. Dans ces cas, nous devrons discuter avec les collectivités les plus concernées (déployer des navettes, c’est un budget), étudier des pistes de partenariats avec les professionnels du transport, et penser la programmation détaillée de manière à optimiser les déplacements. Désormais cette donnée doit faire partie de la réflexion dès le départ.
Le déplacement est un aspect qui est pris en compte par les publics / voyageurs eux-mêmes. Nous ne pouvons plus nous abstraire de cette réflexion. Les professionnel.le.s du tourisme le disent, études à la clé, la manière de concevoir un voyage a évolué. Désormais le voyage commence quand on ferme la porte de chez soi et non quand on ouvre celle du lieu de destination. Le temps de déplacement est un temps de vacances. Ce temps, qui peut être plus long en mobilité douce (train ou bus notamment), nous offre une opportunité en tant que programmateurs et médiateurs culturels. Ce fameux « temps de cerveaux disponibles » est une chance pour des acteurs culturels s’adressant à des publics en déplacement.

« (…) vivre une expérience de festival d’arts dès le transport, en proposant des contenus pédagogiques, créatifs et récréatifs mobile »

Le voyage via les transports en commun peut prendre plus de temps, mais on peut imaginer que l’itinéraire soit un temps dont vous pouvez vous emparer en tant que programmateur ?
Oui voilà, tout à fait, c’est le 2e volet de notre stratégie pour développer l’éco-mobilité (au-delà de l’information) : rendre le voyage en transport en commun désirable. Donner la possibilité au voyageur de profiter de ce temps pour vivre une expérience de festival d’arts dès le transport, en proposant des contenus pédagogiques, créatifs et récréatifs mobiles, en ligne ou avec la SNCF. Pour les Nuits Normandie Impressionniste, événement que nous avons organisé le dernier week-end d’août 2022 pour fêter les 150 ans du tableau légendaire « Impression Soleil Levant » peint par Monet au Havre, nous avons développé deux playlists avec les Inrocks, pour accompagner un voyage ou un coucher de soleil, l’une festive, l’autre méditative. Le festival réunit le riche réseau des musées et acteurs culturels de Normandie qui peuvent unir leur créativité en termes de médiation mobile. En 2022 nous avons créé un copil médiation réunissant, pour commencer, 4 musées normands. Très vite cette réunion a produit de belles idées. Ainsi le MUMA du Havre a pris le pilotage de la création d’une application réunissant les collections de certains musées de Normandie autour de la thématique du soleil. Pour l’édition 2024, notre rôle va consister à catalyser toutes les bonnes idées et à trouver un lieu (digital) où réunir tous ces contenus qui permettront aux publics voyageurs de préparer ou compléter leurs visites physiques. Pour 2024, nous voudrions aller plus loin.

« La promotion d’une tarification incitative des transports en commun en est une autre aussi, tout aussi vertueuse. »

Pour sensibiliser les publics, pour les inciter à changer leur mode de déplacement, est-ce qu’une incitation tarifaire peut être bénéfique ?
Certains festivals, notamment les grands festivals de musique actuelle, avec un lieu unique, peuvent réfléchir à ce type d’incitation, d’autant que leurs prix d’entrée sont élevés. La démarche serait sans doute plus délicate pour un festival comme Normandie Impressionniste avec un grand nombre de sites. C’est une piste qui doit être débattue néanmoins. Nous devons aussi échanger sur ce sujet avec la SNCF qui dispose déjà de tarifs incitatifs sur certaines périodes (et parfois méconnus), que le festival pourrait permettre de mettre en avant. Notre objectif, c’est d’inciter le public à multiplier ses visites, afin de rater le moins de choses possible du programme qui, du reste, dresse un récit cohérent entre les différents événements. Le tarif événement par événement peut être une piste (mais chaque site doit porter sa propre réflexion). La promotion d’une tarification incitative des transports en commun en est une autre aussi, tout aussi vertueuse.

Auteur
Je m’appelle Cyril Leclerc. Je propose, en tant qu’indépendant, du conseil et de l’accompagnement en communication dans les domaines culturels et artistiques. Diplômé en Histoire de l’Art et en Ingénierie culturelle, je me suis, au fil de mon parcours, spécialisé dans la communication culturelle, jusqu’à en faire mon métier. J’ai notamment été pendant sept années, chargé de la communication culturelle à l’Abbaye aux Dames, la cité musicale (Saintes – France). Je m’intéresse particulièrement à la façon dont on peut mettre les outils marketing au service de projets culturels et comment la communication peut enrichir un projet culturel, lui apporter du sens…