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Museum Connections – Entretien avec Manuela Hitz (Musée Visionnaire)

Les musées ont toujours eu pour vocation de rendre accessibles leurs collections et savoirs, mais aujourd’hui de nombreux établissements vont encore plus loin.
En collaborant avec des écoles, ils cherchent à renforcer le lien entre leur mission culturelle et leur vocation éducative. Ces projets ont pour objectif d’aider les élèves à s’immerger dans la culture, à réfléchir à leur propre perspective sur le monde, à enrichir leur vie en créant des expériences et à élargir leur horizon. En outre, ces initiatives ont un impact positif sur la perception externe des musées et leur fréquentation, en rendant l’art plus accessible à tous.
Depuis 2018, Manuela Hitz dirige l’un de ces projets, « l’école au musée », au Musée Visionnaire de Zurich.

Bonjour Manuela Hitz, vous êtes la co-directrice du Musée Visionnaire à Zurich, et l’une des deux personnes à l’origine du projet « l’école au musée ». Pourriez-vous nous expliquer en quoi consiste exactement ce projet et comment il est né ?

Le projet « L’école au musée » a commencé en 2018 lorsque Christina Studer – enseignante à l’école Waidhalde à Zurich – a visité le Musée Visionnaire dans le cadre d’un projet scolaire qui devait durer une semaine. Elle était très enthousiaste à propos de l’exposition et du concept de notre musée à l’époque, ce qui nous a amenées à décider ensemble de poursuivre le projet. Tout d’abord, Christina Studer est revenue une fois par mois avec sa classe, puis chaque semaine à partir de janvier 2019 grâce au soutien de l’école. L’idée était de repenser la salle de classe, de créer un espace d’apprentissage extra-scolaire. La visite du musée ne devait plus être simplement une excursion scolaire ; elle devait être axée sur le contenu, sur les différent·e·s artistes, leur vie et leur travail. Examiner en classe des biographies qui s’éloignent des « normes », ou réfléchir à comment l’inclusion se présente et peut être vécue – ce sont des thèmes importants et formatifs. Dans cette démarche, les personnes marginales sont mises en lumière de manière positive ; la question de l’intrinsèque est également un sujet qui offre une matière à débat intéressante.
Le projet a duré trois ans, toujours avec la même classe et la même enseignante. Après cela, le projet pilote, soutenu par la ville de Zurich, était terminé. Cependant, nous voulions vraiment continuer et repenser le projet « L’école au musée ». À l’avenir, ce ne serait plus seulement une classe qui bénéficierait du programme, mais toutes et tous les élèves de quatrième année de l’école Waidhalde. Pour cela, les cours auraient lieu pendant six mois – toujours le mardi matin – au Musée Visionnaire. Le projet initial durait un an et ne concernait qu’une seule classe. Cependant, il était important pour nous que le projet s’adresse à davantage de classes.
« L’école au musée » ne ré-envisage pas seulement le principe de l’école pour les élèves, mais également pour les enseignant·e·s. Ces derniers suivent une formation de six mois durant laquelle ils peuvent tester ce que signifie s’attaquer à un projet d’apprentissage extra-scolaire, traiter la pensée artistique, culturelle et créative.

« La visite du musée ne doit plus être simplement une excursion scolaire ; elle doit être axée sur le contenu, sur les différent·e·s artistes, leur vie et leur travail. »

On parle beaucoup ces derniers temps d’utiliser les espaces muséaux pour des activités autres que la conservation et l’exposition d’art. Comment diriez-vous que ce projet a changé la manière dont le musée est perçu ? A-t-il eu un impact sur sa fréquentation ? Avez-vous atteint de nouveaux publics peut-être ?

L’espace éducatif est comme un troisième espace d’exposition. Il apporte une autre dimension au musée et contribue énormément à le faire avancer et à le développer davantage. Grâce à des projets comme « L’école au musée », des ateliers avec des enfants et des jeunes ou le « Sonntagsatelier », nous créons des archives vivantes. Les enfants ont également une relation à l’art très différente de la nôtre, en tant qu’adultes, ce qui a une énorme influence sur la curation des nouvelles expositions. Comment une classe d’école s’approprie-t-elle une exposition, qu’est-ce que l’art leur apporte ? – cela ouvre un tout nouveau dialogue et de nouvelles perspectives. Le public du musée change également. Grâce à nos services éducatifs, de plus en plus de familles viennent au musée. Le seuil d’inhibition est abaissé, l’art devient plus accessible. Les parents des élèves avec lesquels nous travaillons visitent également de plus en plus le musée pour voir ce qui s’y passe. Cette ouverture des espaces d’exposition change la perception externe du Musée Visionnaire. Et cela change aussi notre propre approche. Nous réfléchissons constamment à la manière dont les musées et les expositions peuvent être repensées, comment les murs peuvent être dissous et de nouveaux espaces créés.

Le projet existe depuis 2018. Pouvez-vous décrire son évolution au fil des années ? Avez-vous constaté des changements dans la façon dont le projet est perçu par les enfants, leurs parents ou les gens en général ?

Au départ, environ 80% des enseignants et des parents étaient favorables au projet, 20% étaient plutôt sceptiques. De nombreux parents se demandaient au début comment un projet comme « L’école au musée » pouvait aller de pair avec le programme scolaire. Après tout, les enfants doivent remplir certains objectifs d’apprentissage, ils sont censés être préparés aux Gymi (ndr : examen suisse de fin de scolarité, équivalent du baccalauréat français ou du CESS belge), etc. Et si les enfants rentrent chez eux un mardi après-midi en disant « Nous n’avons pas étés en classe aujourd’hui ! », cela ne peut pas avoir grand-chose à voir avec l’école et l’apprentissage, n’est-ce pas ? Les parents nous ont beaucoup mis la pression au début, ils voulaient que le projet réussisse, et ils auraient probablement aimé voir des chiffres pour le prouver.
Mais avec Christina Studer nous ne nous sommes pas laissées décourager. Nous sommes toutes deux convaincues que la pensée créative et critique est bénéfique aux performances académiques. Oui, nous avons dû nous battre pour notre conviction encore et encore. Mais après trois ans, les parents ont remarqué que les enfants en bénéficiaient vraiment. Même les parents qui étaient plutôt critiques au début nous ont fait de plus en plus confiance. Cela est également dû au fait que les enseignants qui ont participé au projet jusqu’à présent l’ont tous trouvé enrichissant. Le développement positif de la classe, le sentiment croissant de solidarité, la pensée créative et indépendante – tout cela a contribué à ce que la crainte et les doutes diminuent de plus en plus et que les personnels enseignants et les parents se rendent compte au fil du temps de la valeur ajoutée réelle du projet. Entre-temps, nous avons atteint un point où nous ne sommes plus critiquées, mais bénéficions vraiment de la confiance de l’ensemble des intervenant·e·s. La Haute École Pédagogique de Zurich (PHZH) a également récemment pris conscience du projet et nous a fourni une salle à l’automne où nous avons pu présenter « L’école au musée » pendant six semaines. Le projet a vraiment fait des vagues entre-temps, nous recevons de plus en plus de demandes de collaborations – de Zurich et d’ailleurs. Et il est important pour nous non seulement de le poursuivre, mais aussi de l’étendre davantage et d’établir le musée comme un lieu d’apprentissage extra-scolaire dans le système scolaire suisse.

Vous avez travaillé avec Christina Studer de l’école Waidhalde pour ce projet qui vous tient de toute évidence à cœur. Considérant la volonté croissante des musées de s’ouvrir à de nouveaux projets, pensez-vous que « L’école au musée » pourrait être étendu à d’autres musées à Zurich ou à plus grande échelle ?

La collaboration des musées et des écoles est actuellement un sujet important en Suisse. En dehors de nous, d’autres musées mettent en place des projets durables à long terme avec des écoles pour transformer les musées en lieux d’apprentissage extra-scolaire. Nous sommes des pionnières dans ce domaine – et nous sommes heureuses de soutenir d’autres projets avec notre expérience. En travaillant avec des stagiaires et des étudiant·e·s en éducation artistique à la ZHdK, nous construisons déjà des ponts, nous les encourageons dans leur carrière et transmettant constamment notre expérience et notre savoir-faire. Je peux également envisager d’être active en tant que conseillère pour accompagner les projets de terrain. En effet, nous constatons que notre vision d’il y a cinq ans est maintenant reprise et mise en place par d’autres institutions, qui procèdent maintenant de manière très similaire à ce que nous avons fait à l’époque. Le succès du projet se mesure à ce que les enfants apprennent, ce qui serait impossible dans le cadre d’un atelier court. Cette acquisition de connaissances sur six mois est un exemple positif d’apprentissage extra-scolaire, qui est désormais utilisé par d’autres institutions et projets.

« Ayez de l’audace, faites ce qui vous tient à cœur ! »

Avez vous le projet de créer une boîte à outils pour les personnes qui voudraient démarrer un projet « L’école au musée » dans leur propre structure ?

Non, nous n’avons pas vraiment projets dans ce sens. Pour moi, il est plus important de vivre le projet par moi-même et de le transmettre de manière pratique. Nous écrivons toutefois nos réflexions, là où nous avons réussi et là où nous avons échoué. Parce que l’échec nous fait également avancer, cela fait partie du processus. Nous pensons qu’il est important pour chaque musée de découvrir ses propres projets : Quels sont les points forts de notre musée, qu’est-ce que nous voulons créer, quels sont nos objectifs ? Ce sont des questions que nous devrions tous et toutes nous poser. L’un de nos points forts est notre rôle d’outsider, c’est un sujet que nous abordons toujours dans les expositions : le fait d’être en dehors du système, mais aussi la thématique de l’inclusion. Il y a de nombreux musées dont le positionnement peut apporter un véritable enrichissement – et ainsi également attirer différents enseignantes et enseignants. Après tout, tous les enseignantes et enseignants ne sont pas amateurs/trices d’art, nous avons toustes des préférences et des intérêts différents. Néanmoins – ou précisément à cause de cela – je pense que la pensée culturelle, la transmission créative de contenu, peut se produire à différents niveaux et dans les musées les plus divers.

Enfin, avez-vous quelque chose à dire à celles et ceux qui envisagent d’ouvrir leurs musées à des projets innovants comme le vôtre ?

Je dirais : Ayez de l’audace, faites ce qui vous tient à cœur ! Ce que je veux transmettre, c’est qu’il est important d’initier et de mettre en œuvre des projets à long terme avec des étudiant·e·s et des enseignant·e·s. Et que vous devriez y consacrer au moins six mois. Ce n’est que dans ces conditions qu’il est possible de s’immerger dans le processus, d’acquérir de nouvelles connaissances et de sortir du rythme effréné qui prévaut d’aujourd’hui. Et en ce qui concerne ce qui se passe dans ce processus, il n’y a pas de limites ! L’essentiel devrait être de faire preuve de courage, de repenser le système scolaire, d’essayer des choses, de parfois échouer, de faire les choses différemment, de mettre de côté le perfectionnisme et de donner de l’espace à sa propre créativité.

Auteur
Après avoir travaillé en tant que scénariste pour le cinéma et la télévision, Yann s’est spécialisé dans la communication de marque. Il aide désormais les marques à améliorer leur communication en se concentrant sur la stratégie de marque et le storytelling pour raconter leur histoire de manière efficace. Passionné par les sciences cognitives, il intervient également dans le cadre de l’élaboration des outils de communication numérique, en portant une attention particulière à l’expérience utilisateur (UX) et à l’accessibilité numérique. Sa capacité à concevoir des histoires, développée en tant que scénariste, poursuit aujourd’hui son évolution dans le domaine de la communication. Enthousiaste et engagé pour une communication respectueuse des publics, il est heureux d’aider les marques à trouver leur voix unique et à la communiquer efficacement.