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Patrimoine et diversité des récits : quelle place faite à l’autre ? Retour sur les Rencontres de Goutelas

L’Association des Centres Culturels de Rencontre (ACCR) rassemble des lieux de patrimoine dédiés à des projets artistiques, culturels et scientifiques novateurs.
L’une de de ses missions est « d’accompagner la montée en compétence de ses membres en matière de participation, d’inclusion, de développement territorial. ». Elle souhaite notamment encourager les démarches de ses membres, au profit d’un patrimoine partagé dans l’esprit de la Convention de Faro.
C’est dans cette optique qu’elle a organisé les 12, 13 et 14 décembre derniers, les « Rencontres de Goutelas ». L’occasion de découvrir la démarche collaborative mise en place avec les habitants et le territoire par le Centre Culturel de Rencontre (CCR) de Goutelas….
Une démarche dans l’esprit de la Convention de Faro : partager un récit collectif autour d’un lieu patrimonial. Communicant.info était présent tout au long de ses journées de découverte et de débats.

La Convention de Faro et les communautés patrimoniales

La Convention de Faro a été conclue et signée en 2005. Elle est entrée en vigueur en 2011.
Dans celle-ci, le patrimoine y est considéré comme une ressource pour le développement humain. Il contribue à la valorisation des diversités culturelles et au dialogue interculturel. Elle met en avant le rôle des personnes qui peuvent se reconnaître dans un lieu, un récit ou une histoire commune : une communauté patrimoniale.
Mais concrètement qu’est ce que cela signifie ? Prosper Wanner, de la coopérative « les oiseaux de passage » nous l’a expliqué : « Pour une fois on ne s’intéresse pas à comment on conserve le patrimoine. Mais pourquoi on le fait, pourquoi on le fait pour la société »
Les 3 journées proposées par l’ACCR proposaient justement aux participants de découvrir l’expérimentation menée dans ce sens par le château de Goutelas. Au sein de ce CCR, a été mise en place une communauté patrimoniale. Comme l’a expliqué Sarah Wasserstrom, la mise en place de cette communauté s’appuyait sur deux principes forts : le fait de donner la parole à tous et d’attribuer la même place à tous les récits proposés. C’est ainsi que les participants ont pu découvrir une balade matrimoniale sur la place et le rôle des femmes (invisibilisées jusqu’alors) dans l’histoire du château.

Comment mettre en place une communauté / faire communauté ?

Mais comment mettre en place une communauté patrimoniale ? Y a-t-il une méthodologie ? Même s’il y a, sans doute, autant de méthodologies, de « chemins différents à suivre« * que de lieux, plusieurs pistes ont été évoquées :

  • Mettre des intérêts en commun
    Si plusieurs personnes fondent une communauté autour d’un patrimoine, il se peut que leurs intérêts, leurs récits divergent. Dès lors, il s’agit de trouver ce qui fait commun, ce qui fait sens pour tout le monde. Au château de Goutelas, il était question de faire de la place aux anciens bénévoles, de fédérer des « visions parfois contradictoires »
  • Se comprendre mutuellement, marcher dans les pas des autres
    Pour cela, il convient de donner la même valeur à chaque récit proposé. C’est ce qui permet de casser les à priori. Mais aussi d’enchevêtrer les récits et de trouver des dénominateurs communs. Pour cela, le lieu patrimonial doit travailler en réciprocité : s’ouvrir au récit d’autrui mais aussi se déplacer chez les personnes qui constituent sa communauté. Car, comme l’a exprimé Prosper Wanner « on a pas la même légitimité quand on s’exprime hors de chez soi« .
    Même son de cloche chez Sarah Wasserstrom du château de Goutelas : « Aller à la rencontre des personnes, les rencontrer « dans leur élément » était un point important« . Ainsi la communauté s’est étendue à d’autres personnes du territoire : agricultrices, professionnelles, habitantes du territoire…
  • Réhumaniser :
    Il s’agit aussi de gérer « le(s) conflit(s) » en respectant autrui. De considérer le récit de chacun comme étant digne d’être écouté… Et même s’il vient démystifier le discours principal, même s’il constitue une alternative à celui-ci.
    Ainsi dans la construction de la balade matrimoniale proposée à Goutelas, chacun s’est appuyé sur ses références propres pour construire son discours.
  • Reconfigurer
    De cette mise en commun, doit découler un récit qui « fait collectif », que chacun est en mesure de se raconter. Et même si celui-ci peut sembler, de prime abord, anodin.
    Ainsi, à Goutelas, tous les gens se sont mis d’accord afin de coopérer et de créer une balade matrimoniale.

Se déplacer / se dépasser

Au cours des échanges et ateliers organisés lors de ces 3 jours, les différents représentants** des Centres Culturels de rencontre (CCR) ont pu échanger et réfléchir sur la manière dont ils organisaient leur hospitalité : quelle place aux différents récits (des habitants, des usagers, des salariés…) ?
Le premier constat qui s’est imposé dans ces échanges est celui d’un nécessaire dépassement. En effet, accueillir chaque récit comme légitime, comme étant digne d’être entendu, suppose de « dépasser une vision institutionnelle ou unique du patrimoine« . Et donc d’accepter celui-ci dans une vision élargie en faisant le « constat des différents de point de vue« .
Ce qui supposerait pour un lieu qui entreprendrait cette démarche, de revoir ses habitudes, de « dépasser sa posture surplombante« … D’estomper la frontière entre sachants et apprenants.
D’aucuns y ont vu l’occasion de « régénérer un modèle parfois très descendant« … Car le fait de faire interagir les communautés, cela ne peut se faire qu’à une seule condition : celle de dépasser les antagonismes et les dissonances et de « dépasser les récits institutionnels ou quelqu’un serait légitime pour raconter l’histoire ou l’Histoire« . Et donc de « rompre les silos pour laisser plus de place aux initiatives » (des habitants, des usagers, des salariés…).
Ce qui demande une impulsion forte pour envisager ces changements, notamment dans la gouvernance du projet culturel. Mais aussi une compréhension de toutes les parties prenantes, l’acceptation d’un « tel virage » passant par un accompagnement pour « lever les résistances au changement« .

De la réciprocité des récits

Autre interrogation : celle de l’identité du lieu patrimonial… Ne peut-elle pas être dissoute dans la multiplicité des récits ? Comment concilier la mémoire du lieu, de son projet et le(s) regard(s) neuf(s) apportés par les communautés ?
Une des solutions amenées au cours des échanges est que le récit principal ou officiel peut être
enrichi :
– La mémoire d’un lieu peut renvoyer à des questions contemporaines (par exemple les conditions d’ouvriers du XIXe peut renvoyer à des questionnements actuels sur la pénibilité du travail). C’est donc la possibilité de croiser regard neuf et mémoire du lieu.
– Prendre en compte les références des uns et des autres, c’est aller vers une compréhension mutuelle. C’est considérer l’autre comme individu et peut-être plus comme une masse uniforme que l’on dénommerait public. C’est aussi inclure les salariés / l’équipe d’un lieu dans la communauté…
– S’il y a des récits dissonants, différents sur un lieu patrimonial… C’est que celui-ci contribue à créer ces récits. Il s’agit, dès lors, pour les équipes en place d’accepter « qu’elles ne sont pas propriétaires ou gardiennes d’un patrimoine mais légataires« . Et qu’elles ont aussi la mission que les communautés puissent s’en emparer.

Tout cela renvoie à la raison d’être du projet : pour quelle raison conserve-t-on le patrimoine ? Et à un enjeu qui dépasse la simple médiation. Mais qui consiste à ouvrir les yeux sur des récits qui touchent à différent aspects qui vont de l’intime au général. Le château de Goutelas est par exemple, au delà de sa programmation culturelle, vu comme un lieu d’expression ouvert aux initiatives, avec plein d’entrées différentes…
Et il est possible de « voisiner avec une communauté » en lui permettant de s’emparer d’un sujet et par là même de créer un attachement au site par le biais du récit qu’ils auront composé.
Enfin, cela aussi peut aussi faire sens dans le cadre d’une démarche environnementale / de respect de la biodiversité. Si dans une communauté patrimoniale, dans un bâtiment, « il y a différents autres« , on peut y inclure d’autres entités de la biosphère : plante, animaux… Et se pencher sur la cohabitation avec l’ensemble du vivant.

Si des lieux patrimoniaux comme les CCR sont déjà des « communautés patrimoniales qui ont sauvé un lieu par l’institutionnalisation« , les participants s’entendaient qu’ils devaient « éviter le repli » et ouvrir les portes mais aussi aller au devant de nouveaux récits sans oublier « l’histoire initiale » celle « d’où l’on vient« .


* À noter que les membres du projet « People, place and stories », présents aux rencontres de Goutelas, proposent une boîte à outils en ligne pour développer des communautés patrimoniales
** Les termes entre guillemets ont été exprimés par les participants aux ateliers / restitutions plénières des Rencontres.

Auteur
Je m’appelle Cyril Leclerc. Je propose, en tant qu’indépendant, du conseil et de l’accompagnement en communication dans les domaines culturels et artistiques. Diplômé en Histoire de l’Art et en Ingénierie culturelle, je me suis, au fil de mon parcours, spécialisé dans la communication culturelle, jusqu’à en faire mon métier. J’ai notamment été pendant sept années, chargé de la communication culturelle à l’Abbaye aux Dames, la cité musicale (Saintes – France). Je m’intéresse particulièrement à la façon dont on peut mettre les outils marketing au service de projets culturels et comment la communication peut enrichir un projet culturel, lui apporter du sens…