Jérôme Ramacker est auteur des deux ouvrages « communiquer sur son projet artistique » et « cultiver sa communication ». Il se définit comme un artisan communicateur. Il répond aux questions de communicant.info :
Jérôme Ramacker : Comme un artisan façonne la matière entre ses mains, je prends plaisir à manipuler la communication, jouer avec elle, essayer de comprendre ses réactions. J’observe les pratiques, je les partage avec les acteurs engagés, et analyse les réactions des publics. Ce n’est pas de la communication théorique même s’il en découle certains concepts ou façons de penser. Ce n’est pas non plus de l’expérimentation dénuée de sens. Je suis persuadé que les meilleures idées sont souvent les plus créatives. Je considère la communication comme quelque chose de ludique, qui doit amuser, surprendre, éveiller celui qui l’utilise comme celui qui en bénéficie. Elle doit inviter à la rencontre et « faire culture ».Je dirais que l’artisan communicateur met son art au service du projet.
C.I : Pouvez-vous nous présenter votre parcours et comment vous en êtes justement arrivé à devenir « artisan communicateur » ?
JR : J’ai fait des études de journalisme puis une spécialisation en gestion culturelle à Bruxelles. Très rapidement, j’ai fait le choix de lier mes compétences professionnelles à mon engagement dans le milieu culturel, comme coordinateur de projets (artistiques, associatifs, européens…) et de communication (interne et externe). Avec l’expérience des années, j’ai développé une approche originale et spécifique au secteur non-marchand. Je suis ainsi chargé de cours en gestion de projet socioculturel dans une Haute Ecole de communication. Je m’occupe également depuis plus de 12 ans d’une Compagnie de cirque de rue. A force de rencontrer des artistes, de discuter avec eux de leur site web pas très efficace ou de leur carte de visite mal imprimée, j’en suis venu à créer des formations en communication culturelle. Il s’agissait de combler clairement un manque généralisé dans le secteur et rarement pris en compte. Ensuite, l’idée est venue d’écrire un premier livre (Communiquer son projet artistique) puis un deuxième (Cultiver sa communication) pour rassembler tous ces conseils et bonnes pratiques. D’une envie personnelle de faire de la communication dans un milieu qui me plaisait, je suis arrivé à construire une démarche professionnelle sollicitée par ce même milieu.
« Faire des choix stratégiques, changer de lunettes et prendre du recul : c’est souvent ce qui est le plus difficile pour un artiste en création. »
C.I : Communiquer son projet culturel… Est-ce vraiment si simple ? Y a-il une recette miracle pour « cultiver sa communication » ?
JR : Non ce n’est pas simple et c’est pour cela que beaucoup de créateurs n’aiment pas s’occuper de leur communication. Faire des choix stratégiques, changer de lunettes et prendre du recul : c’est souvent ce qui est le plus difficile pour un artiste en création. A la qualité du projet, il faut ajouter systématiquement la dimension émotionnelle et culturelle. Pouvoir « vendre » son oeuvre sans la trahir. Or l’artiste émergent est souvent seul derrière son ordinateur. On ne lui apprend pas à l’école à rédiger un dossier, réaliser une affiche ou à alimenter un réseau social. Il n’y a peut-être pas de recette miracle mais il y a bien des trucs de communicateur pour trouver un nom à son projet, créer un logo qui a du sens, choisir un bon visuel ou décliner une campagne cohérente. C’est la différence entre amateur et professionnel: quand un acte de communication provoque la réaction anticipée… ça marche ! Je ne promets pas aux artistes qui suivent mes formations de devenir de parfaits webmasters ou graphistes. Par contre, ils seront capables de concevoir eux-mêmes une communication qui leur ressemble.
C.I : Marketing et culture : ce sont deux concepts qui sont souvent opposés. Vous prenez le pari d’oser les réunir… Pourquoi et comment ?
JR : « Le projet est le message ». Tout est dit ! On ne peut communiquer sans avoir défini son projet, ses objectifs, son public… C’est ce qu’on appelle le marketing culturel. La grande différence avec le marketing commercial, c’est que l’offre vient avant la demande. Un artiste crée une oeuvre puis cherche à la vendre, sauf dans le cas d’appel à projets ou de commande. Souvent lors des conférences auxquels je participe, je sais pertinemment bien qu’au moins une personne dans la salle va s’offusquer de l’utilisation du terme marketing. Parfois, je parviens à lui faire entendre qu’il s’agit avant tout d’outils au service du projet et non d’un formatage publicitaire. Que s’il réfléchit d’abord au public qu’il veut atteindre afin d’utiliser les mots et les moyens adéquats, il a plus de chance de réussir à le convaincre plutôt que de faire « comme d’habitude ». C’est aussi une question de mentalité. Dans le non-marchand, la communication est davantage relationnelle que persuasive. On ne vend pas, on partage ou on collabore.En créant sur Facebook la Page « Osez le marketing culturel », je voulais encourager ceux qui osent défendre de façon créative et stratégique leurs projets culturels. Le rayonnement international que prend ce blog confirme l’intérêt des professionnels du secteur.
« Toute œuvre d’art est un acte de communication »
C.I : Pour conclure : peut-on ré(concilier) communication et art ?
JR : Il faut comprendre que toute œuvre d’art est un acte de communication. L’artiste exprime sa représentation du monde, fait passer un message. Le projet en soi communique sur un propos. D’où le refus pour certains de nommer leur tableau ou d’expliquer dans un catalogue leur démarche. Ceux-là défendent, à juste titre j’en conviens, l’importance de mettre en relation directe l’oeuvre et le public. Cependant ce public ne peut franchir la porte d’une exposition ou d’une salle de concert sans avoir été un minimum interpellé. Donc l’artiste doit communiquer. Et il le fait dès qu’il présente son travail à autrui. Une fois réalisée, l’oeuvre peut rester enfermée dans un tiroir ou au contraire être montrée, exister publiquement. Dans mon deuxième ouvrage, je réponds à la double question suivante: « La culture peut-elle être une solution à l’incommunication ? La communication peut-elle sauver la culture? » Guérilla marketing, flash mob, fab lab… Dans notre société contemporaine, l’art et la communication sont intimement liés par leur capacité de créer ! Ils s’entraident. A chacun de trouver sa place pour laisser à l’autre sa liberté.
Quelques questions indiscrètes pour finir
– Quel est le réseau social dont vous ne pouvez pas vous passer ?
J’utilise principalement Facebook, YouTube, Slideshare et LinkedIn. Le bouche-à-oreille virtuel m’a permis de dépasser les frontières. Mais contrairement à ce qu’on pourrait croire, je ne suis pas un geek accro aux réseaux sociaux. Par contre je ne pourrais pas me passer de sorties culturelles, celles qui nourrissent le réseau IRL.
Il fut un temps où je pratiquais le trapèze volant comme voltigeur puis comme porteur aérien. J’avoue ne pas avoir trouvé une autre discipline qui me procure autant de sensations. Cela dit, il n’existe pas de gradations entre les arts; on ne peut pas parler de surpassement si ce n’est en émotions subjectives et personnelles.
J’en ai tellement ! Un concert duquel je ressors heureux, une exposition qui me fait l’effet d’un électrochoc, un livre que je peux relire vingt fois… Et parfois de petites pépites lors d’un festival, une ambiance au cours d’un repas-spectacle, un moment imprévu (dans la) rue. Je recherche constamment de nouvelles expériences à vivre et à partager.
Qui est votre artiste préféré(e) ?
Je n’ai jamais été un « fan de » mais j’aime suivre des artistes que j’ai découverts à leurs tout débuts comme La Rue Kétanou ou Selah Sue. Récemment j’ai eu un coup de coeur pour Jain, une jeune chanteuse qui dégage une chouette énergie.