Un mémoire de fin d’étude à découvrir absolument. On vous rassure tout de suite : ce n’est pas une longue thèse ou un ouvrage universitaire un peu cryptique. Au contraire, dans celui-ci, Ronan Le Guern parle d’un projet des plus pragmatiques (la refonte d’un site internet), tout en passant au crible différentes méthodes pour piloter un projet digital.
Avec pédagogie et humour, il propose un retour d’expérience qui pourrait s’avérer précieux à des acteurs culturels s’intéressant à la transformation digitale de leur projet ou établissement.
« Centrer la conception sur l’utilisateur »
Communicant.info : Bonjour Ronan ! Pouvez-nous présenter brièvement votre parcours et les circonstances qui vous ont amené à rédiger ce mémoire intitulé « Comment mieux piloter son projet digital dans un établissement culturel ? Mon expérience au #104paris ? »
Hello ! Après l’obtention d’un DUT en design interactif à l’aube des années 2000, j’ai accumulé différentes expériences de communicant print et web dans les industries culturelles : radio, cinéma, studio de création musicale… En 2007, j’entends parler du projet du 104, encore en préfiguration : art, culture, innovation… un endroit complètement hybride qui tiendra autant de la friche, du tiers-lieu, que de la salle de spectacle ou du musée… clairement le « job de rêve » !
On se rencontre, j’intègre l’équipe – qui se constitue à peine – et c’est le début d’une aventure trépidante. Durant ces 10 années, j’ai mis en place la stratégie de communication digitale du lieu, l’ai accompagné dans ses premiers pas sur les réseaux sociaux. Nous avons créé et développé un pôle web, constitué un écosystème de sites… C’est une expérience assez unique, que j’ai voulu vivre à fond.
En 2016, à l’occasion d’une refonte, je suis une formation courte sur l’UX design à GOBELINS, l’école de l’image. Ça renverse complètement la manière de penser les choses, en centrant la conception sur l’utilisateur final (oui je sais, quand on y pense, c’est du bon sens). Durant 2 ans, j’utilise cette approche dans la gestion de mes projets digitaux au 104. Et en 2018, pour valider mes acquis, je décide de retourner sur les bancs de l’école, en intégrant le Master 2 Directeur de projets / UX manager, toujours à GOBELINS. Le mémoire dont nous allons parler en est le fruit. Il raconte la refonte de 104factory.fr, le site de l’incubateur de startups du CENTQUATRE-PARIS.
C.I. : Commençons par le commencement : qu’est ce que c’est que l’UX ? Quel est son lien avec l’UI ?
UX (« user expérience ») et UI (« user interface ») sont les 2 faces d’une même pièce : le produit. Il s’agit dans les deux cas de rendre celui-ci utile, utilisable et agréable, afin de se démarquer de la concurrence et de favoriser son adoption par les utilisateurs.
L’UX designer conçoit l’expérience globale du produit, en tenant compte du parcours de l’utilisateur avant, pendant et après son utilisation. Il ne se cantonne pas à la conception visuelle, mais s’intéresse en profondeur à la problématique rencontrée par les utilisateurs et à la façon dont le produit pourra y répondre.
L’UI designer se concentre quant à lui plus sur le design de l’interface du produit digital (conception et réalisation de maquettes basse ou haute définition). Il s’agit là de rendre le produit ergonomique, accessible et désirable. Il arrive souvent que ces 2 métiers soient exercés par une même personne.
A contrario, chacun d’entre eux connaît également de nouvelles segmentations. Ainsi émergent de nouveaux métiers tels que UX researcher, UX writter, expérience designer, interaction designer… chacun avec leur spécificité, mais une philosophie similaire : connaître l’utilisateur, être agile, échouer vite pour réussir plus tôt.
« Un bon UX designer doit faire preuve d’empathie »
C.I : En quoi les méthodes présentées dans votre mémoire peuvent-elles être utiles à un lieu culturel et comment outrepasser le blocage provoqué devant le jargon du webmarketing ?
Les démarches de management de l’innovation (et notamment le design thinking) sont aujourd’hui généralisées dans le secteur de l’informatique et des nouvelles technologies. Elles peuvent toutefois s’appliquer à toute problématique à laquelle on cherche une solution en adoptant une organisation en mode projet. Dans mon quotidien, ces méthodes me servent aussi bien dans ma vie professionnelle que dans mes activités de syndic bénévole d’immeuble ou de jeune papa !
La difficulté, s’il en est une, est que le milieu culturel est historiquement structuré sur un marketing de l’offre, qui répond à une demande non exprimée.
L’artiste exprime sa vision du monde sans se soucier des envies ou besoin du spectateur / regardeur/ auditeur. Les marketings de la demande et de l’innovation, dans lesquels une démarche UX design peut plus aisément s’épanouir, s’appuient pour leur part sur les attentes des clients. Si une prise de conscience de la nécessité de maîtriser les techniques webmarketing a bien eu lieu ces dernières années, rares sont encore les structures disposant d’une « maturité UX » avancée.
Reste que le milieu culturel est loin d’être hermétique au dialogue : la médiation culturelle, les métiers des relations avec les publics et le développement récent de postes de responsable de l’expérience visiteur dans les musées en sont la preuve !
Enfin, pour faire fi du jargon, il suffit simplement de s’en affranchir dans nos communications. Un bon UX designer devant faire preuve d’empathie, il adapte son langage à son interlocuteur pour éviter toute incompréhension. « Vulgariser pour évangéliser » ça ferait un bon titre de slide (rires) ! Exit donc les phrases toutes faites qui pourraient être générées par des robots, type « L’IA va disrupter tous les business grâce à la combinaison data / cloud / deep-learning ». En atelier, face à des participants qui jargonnent, on peut utiliser la grille « pipo bingo » de Nod-A, une sorte de loto amusant pour prendre désamorcer ce problème de « buzzwords » infernaux. Dans le même ordre d’idée, Emmanuelle Marévéry, consultante UX utilise le « diagramme café » (qui marche aussi avec la raclette ou le conjoint) pour sensibiliser ses clients à la priorisation des besoins utilisateurs. Mieux vaut partir de référentiels communs pour se faire comprendre.
« Vivre une expérience qui fasse date, c’est également ce que l’on recherche lorsqu’on se confronte à une œuvre d’art ! »
C.I : Au delà de la compréhension de termes techniques, on s’aperçoit que la gestion d’un projet digital implique de travailler avec de l’humain : parcours des publics visés, implication de l’équipe du 104… Finalement travailler sur le digital ce serait avant tout une aventure… humaine ?
Humaine, oui bien sûr, puisque ces produits sont conçus par certains êtres vivants, et destinés à être utilisés par d’autres. Le tout étant de permettre aux premiers d’entrer en empathie avec les deuxièmes pour leur proposer une expérience mémorable. Et ça tombe bien, puisque vivre une expérience qui fasse date, c’est également ce que l’on recherche lorsqu’on se confronte à une œuvre d’art !
C.I : Dans votre document vous passez au crible 15 méthodes, outils ou techniques qui vous ont permis de faire avancer votre projet digital (la refonte du site 104 factory). Quels sont vos cinq outils préférés et pourquoi ?
Difficile à dire… toutes ont un intérêt, selon l’avancée du projet. Dans mon mémoire, je tente d’évaluer mon propre degré de satisfaction par rapport aux outils utilisés, mais au travers du prisme du contexte particulier de cette refonte. Aussi, sur un projet différent, certains outils seront moins pertinents, tandis que d’autres seront plus adaptés. Allez, en voilà 5, que tout un chacun peut mobiliser facilement sur ses projets (un pour chaque phase constituant une gestion de projet UX) :
1/ Phase de planification : les 5 « why ? »
Demander « Et pourquoi ? » à plusieurs reprises est une méthode simple et efficace pour cerner les intentions profondes du commanditaire, au-delà du besoin initialement exprimé. La vraie source d’un problème est souvent cachée sous un vernis qu’il convient de gratter.
2/ Phase d’exploration : l’entretien utilisateur
Mené de façon directive, semi-directive, exploratoire, en mode guerilla ou dans une approche strictement ethnographique… échanger avec les gens pour les comprendre est, vous l’aurez compris, la clé de la démarche UX !
3/ Phase d’idéation : le « crazy eight »
Prenez une feuille, pliez là en 8. C’est (presque) aussi simple que ça. Une minute, une case, une idée… pas besoin de plus pour obtenir les premiers résultats !
4/ Phase de génération : commencez avec des zonings et des wireframes
Avant de se lancer bille en tête dans une maquette ultra haute-définition, commencez par définir les grandes zones qui constitueront votre page (c’est le zoning). Réalisez ensuite des maquettes fonctionnelles (ou wireframe), filaires et monochrome, afin de préciser la position de vos éléments d’interface. Figma, Sketch, Invision… les logiciels ne manquent pas et ils sont plutôt faciles à prendre en main. Dès cette étape, vous pourrez tester vos parti-pris sur des utilisateurs, en leur soumettant des prototypes plus ou moins aboutis. Leurs précieux retours vous permettront de réaliser rapidement des ajustements, bien avant le développement de la solution finalisée.
5/ Phase d’évaluation : l’AttrakDiff
Pas toujours facile d’avoir accès à un labo pour réaliser des tests scientifiquement probants… heureusement il existe des « échelles UX » pour mesurer la qualité de l’expérience. Mixée à d’autres techniques, elles permettent d’obtenir facilement des résultats viables.
Voilà, à vous de jouer ! Pour découvrir plus de méthodes, vous pouvez télécharger librement mon mémoire ici : Un ultime conseil : jetez-vous à l’eau, c’est comme ça qu’on progresse. Merci Communicant.info pour l’ invitation et à bientôt !
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