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Compte rendu : Innover dans les arts et la culture, humaniser la civilisation numérique

Transformation numérique : deux mots qui ne sont plus une hypothèse mais une évidence. La transformation numérique est bien présent dans tous les aspects de nos vies : organisation, modèle économique, intermédiation, traitement des données…   Elle oblige à requestionner les domaines de la création, de l’accès et de la participation, des comportements et des pratiques des publics, de la démocratie et de la démocratisation, de l’éducation et de la médiation, des équipements et des projets de territoire… C’était le thème de cette rencontre proposée par l’Observatoire des Politiques culturelles, en collaboration avec l’Agence culturelle Grand Est et en partenariat avec la DRAC Grand Est, le Ministère de la Culture, la Cité musicale-Metz, la Ville de Metz, Metz Métropole, et organisée à l’occasion du festival international d’arts numériques Constellations de Metz. Communicant.info était présent. Voici les 6 points que nous avons retenu :  

1 – Des outils numériques aux usages

Invité à donner son point de vue, Samuel Nowakowski, Maître de conférences à l’Université de Lorraine, a rappelé qu’initialement le web se voulait acentré et s’imaginait comme nous connectant de pair à pair. « Mais cette utopie a disparu quand celui-ci a basculé dans une logique de profit. Dès la fin des années 90 / le début des années 2000, nous avons assisté à l’avénement des plateformes qui centralisent des données, génèrent des profits ». Même si l’usager est loin des procédés techniques de la plateforme, il doit prendre conscience que le numérique est un espace où des acteurs « se partagent la part du gâteau ».

Le premier réflexe serait, pour lui, de s’intéresser, de se former, de ne pas prendre le numérique pour argent comptant, l’utiliser en connaissance de cause. Les effets du numérique (politiques, économiques, écologiques) sur le monde doivent être analysés, objectivés… Nous avons besoin de comprendre les mécanismes de cette transformation numérique, de les utiliser à nos fins.
Et donc de considérer que ce sont les usages du numérique qui créent la société numérique et non la technologie.

2 – Inclusion / exclusion et Coopération / individuation

Cela passe notamment par le fait de repenser la médiation, l’accès au savoir, à la connaissance. Toute les savoirs du monde sont disponibles sur internet. Mais comment éclairer cet accès, comment apprendre à forger son esprit critique, son opinion, savoir prendre de la hauteur quand aux informations que l’on nous donne ?
Le numérique reste d’ailleurs un facteur d’exclusion aujourd’hui : L’illectronisme (incapacité à utiliser les appareils électroniques du fait d’un incompréhension de leur fonctionnement) touche 17 % de la population (INSEE – 2019).
C’est ce qu’a rappellé Jean-Pierre Saez (directeur de l’Observatoire des Pratiques Culturelles) dans son introduction de la journée : « aujourd’hui 4,4 milliards d’humains sont connectés contre 50 millions il a y un quart de siècle, cette transformation radicale reste ambivalente entre individuation / exclusion et coopération ». Cependant « il n’est pas trop tard pour réfléchir collectivement et changer le cours des choses » et trouver une voie entre marchandisation et humanisation, entre exclusion et inclusion.

3 – De l’accès à la relation

Le numérique peut être mis à profit d’actions d’ouverture, de coopérations d’intelligences et de savoirs. Mais elles peuvent être aussi mises au services de desseins plus sombres… Au delà de l’effervescence de l' »enchantement technologique » ou de la sidération, « la panique morale », que peut susciter le numérique. Il convient de comprendre que le débat est déjà préempté par des acteurs, tels que les GAFA (Google Apple Facebook Amazon) ou les NATU (Netflix, Airbnb, Tesla, Uber)…

Dans « L’âge de l’accès (2000) » que Jean-Pierre Saez a cité dans son introduction, Jéremy Rifkin nous mettait en garde sur le fait que « la préservation de la diversité et de la biodiversité culturelle sont les 2 grandes causes sociales du 21e siècle ». Soit faire face à ceux qui exploiteront les tendances pour proposer de nouvelles expériences à leurs clients.
Dans la conclusion de cet ouvrage Jéremy Rifkin pose d’ailleurs cette question : « Comment nous souhaitons réorganiser nos relations les plus élémentaires avec nos semblables ». Ce que la logique de l’accès détermine en fin de compte c’est la nature et le degré de notre participation au monde (…) La réponse à cette question déterminera la nature de la société que nous construirons… »

4 – Humaniser le numérique

Alors faut-il réhumaniser la civilisation numérique ? Pour Samuel Nowakowski, ces outils sont déjà « humains, trop humains ». Les outils que créent les humains sont tout autant porteurs de remèdes, d’émancipation que de destruction… Emmanuelle Lallement confirme : « le numérique s’incorpore à tous les espaces humains comme la révolution industrielle (…) On ne peut humaniser une civilisation (il y a d’ailleurs une contradiction, un civilisation est à priori une création humaine) mais on peut lui donner des valeurs humaines (…) et il n’y a de la variabilité culturelle que par la différence, l’altérité… ».

5 – Produire de nouveaux récits

Selon l’anthropologue Emmanuelle Lallement, « la culture existe lorsque les humains s’organisent de sorte à répondre à un certain nombre de questions qui lui permettent de se positionner dans le monde (…) Elle est matérielle, mais aussi immatérielle : les mythes, les récits… ».
Face au numérique, quels imaginaires doit-on construire ? Quelles autres visions ? Quelles autres alternatives ? Les artistes et les acteurs culturels peuvent justement apporter des visions alternatives. Ils peuvent dessiner un nouveau chemin critique, un nouveau langage de nouvelles formes.
Une réponse qui peut, par exemple, venir des arts numériques. L’ère du numérique a produit de nouveaux mythes (autour de l’intelligence artificielle, de la gratuité…). L’artiste a un rôle à jouer dans la révélation, la mise en lumière de certains systèmes, dans le fait de regarder de biais ce qui est train d’advenir, de permettre au public de forger son esprit critique, son opinion.
Les tiers lieux explorent aussi des champs différents et nouveaux, qui prennent irrémédiablement place dans le paysage culturel et proposent une vision plus transversale, moins verticale, une approche hybride, pluridisciplinaire.
Quel est l’impact de ces lieux ? Selon Raphaël Besson, chercheur associé au laboratoire PACTE, « nous sommes très peu outillés pour en prendre la mesure ». L’impact le plus significatif est dans les externalités qu’ils génèrent (coopération, communs, circulation des savoirs et apprentissages…). L’ADN de ces lieux est effectivement d’être dans un rôle de transmission de pair à pair, d’inventer des endroits pour penser la résilience, mais aussi de repenser la la place de l’oeuvre, de la création.
Repenser la place par rapports au publics également : créer un cadre pour la coopération, apprendre à habiter le conflit (les tensions, ce sont les marques d’une coopération). Dans ces tiers lieux, il y a aussi la volonté de réinterroger la notion de publics (moins passifs, ils deviennent acteurs, artistes…). Pour Raphaël Besson : « les publics sont mouvants, il ne sont pas figés dans une posture, une communauté identifiée ».

6 – Et si la notion de public.s était dépassée ?

Est-ce que le numérique ne pousse d’ailleurs pas à revoir la place des publics dans les institutions culturelles ? Il est vrai que le label d’expertise, de savoir, de prescription des lieux culturels peut être remis en cause, notamment par les réseaux sociaux.
Pour Emmanuel Lallement : « le paradigme de la connaissance (qu’avez-vous appris ?) est très évalué dans les structures culturelles. Il y a peut être un déplacement à faire de ce paradigme vers d’autres, tels que la sociabilité ou le bien être… »
Pour elle, la notion de spectateur (ou de visiteur, ou de touriste) n’a également plus lieu d’être : « plus personne ne veut l’être, cette notion est homogénéisante alors que tout un chacun cherche la particularité ». Et de réaffirmer l’importance du médiateur : « ils ne doivent pas être au bout de la chaîne mais en co-construction ».

Auteur
Je m’appelle Cyril Leclerc. Je propose, en tant qu’indépendant, du conseil et de l’accompagnement en communication dans les domaines culturels et artistiques. Diplômé en Histoire de l’Art et en Ingénierie culturelle, je me suis, au fil de mon parcours, spécialisé dans la communication culturelle, jusqu’à en faire mon métier. J’ai notamment été pendant sept années, chargé de la communication culturelle à l’Abbaye aux Dames, la cité musicale (Saintes – France). Je m’intéresse particulièrement à la façon dont on peut mettre les outils marketing au service de projets culturels et comment la communication peut enrichir un projet culturel, lui apporter du sens…

Commentaires (2)

  1. Responsable culture, communication et tourisme à Ecouen (Val-d’Oise), votre plateforme contribue à nourrir mes pensées et influencer mes actions. Merci!

    • Bonjour Sabrina,
      Nous sommes ravis de lire votre commentaire. C’est une idée des idées qui a préexisté à la création de notre magazine en ligne.
      Alors quand une de nos lecteurs.rices nous le dit c’est autant plus gratifiant !
      Merci beaucoup de nous donner l’envie de continuer !

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