Développement et stratégie

Interview – Stéphane Bossuet « Aller dans le sens commun sans pour autant briser la mobilisation des intelligences et des individualités » 

Pour parler de coopération, il nous semblait évident d’interroger Stéphane Bossuet. Celui qui, il y a environ 15 ans, a créé Artenréel (première Coopérative d’Activité et d’Emploi artistique et culturelle) possède un long « CV coopératif ». Le Président de Coopérer pour Entreprendre* a bien voulu prendre quelques minutes dans son agenda chargé pour répondre à nos questions…

Communicant.info : Bonjour, Stéphane, est ce que ce sont les même raisons qui vous ont poussé à créer la Coopérative d’Activités et d’Emploi Artenréel, il y a plus d’une dizaine d’années qui vous animent toujours ? Quelles sont-elles ?Stéphane Bossuet : Vous avez raison de me poser la question : pour convaincre il faut être convaincu, donc savoir ce que l’on veut et essayer de bien le dire. Artenréel est le fruit d’une conviction qui ne m’a jamais quittée : la coopérative offre à la fragilité économique des artistes une réponse opportune qui allie engagement collectif et responsabilité partagée. Artenréel nous démontre encore, depuis 15 ans qu’être entrepreneur culturel implique non seulement d’inscrire son travail dans le monde économique, mais aussi de poursuivre avec passion, la volonté de faire émerger sa vision artistique.
Pour autant la difficile question d’une mise en tension entre coopération et réussite artistique demeure : le devoir de s’accorder entre une position singulière, originale d’artiste et être co-auteur d’une œuvre commune que représente l’esprit du projet – le coopératisme. Procédant par essais et erreurs, l’intuition, l’inconnu, la création, la pensée divergente entre individu et collectif sont toujours et encore les points de départ au bonheur qui m’anime et qui cherche une réponse à la question éthique du vivre ensemble.

Stephane Bossuet Coopération Culture
Stephane Bossuet : « Aller dans le sens commun sans pour autant briser la mobilisation des intelligences et des individualités »

C.I : Pouvez-vous, basiquement, expliquer ce qu’est une coopérative ?
SB : Le basique, c’est la loi 47 qui est au cœur de toutes les coopératives : La coopérative est une société constituée par plusieurs personnes volontairement réunies en vue de satisfaire à leurs besoins économiques, culturels ou sociaux par leur effort commun et la mise en place des moyens nécessaires.
Elle exerce son activité dans toutes les branches de l’activité humaine et respecte les principes suivants :
– Une adhésion volontaire et ouverte à tous,
– Une gouvernance démocratique,
– La participation économique de ses membres,
– La formation desdits membres et la coopération avec les autres coopératives.
Chaque membre coopérateur dénommé, selon le cas, « associé » ou « sociétaire », dispose d’une voix à l’assemblée générale.
Les excédents de la coopérative sont prioritairement mis en réserve pour assurer son développement et celui de ses membres.
De cette loi, on décline les différents modèles coopératifs dans les secteurs de production, de la consommation, du commerce, de l’habitat, des banques…

« Il n’en tient qu’au mouvement coopératif de se présenter comme visionnaire et de prendre la place publique qui lui revient pour présenter ses alternatives concrètes au monde de la culture. »

C.I : …Et dans la culture ? Le secteur culturel français a majoritairement recours au modèle associatif… Est ce que le modèle coopératif peut, demain, proposer une alternative ? Quels seraient les avantages ? 
SB : Finalement rien ne justifie l’absence du mouvement coopératif dans le débat public encore moins dans le secteur culturel qui serait légitime en l’état à se saisir de ces nouvelles formes. Du côté du mouvement coopératif, soutenu par une gestion plus traditionnelle mais efficace, la coopérative doit impérativement renouer avec sa philosophie pour pouvoir mieux justifier, à elle-même et au monde, ses choix et sa différence organisationnelle. Elle doit retrouver son unité intrinsèque, c’est-à-dire sa vision fondamentale de l’Homme et ses valeurs pour y incorporer et y renouveler, souhaitons-le, des outils de gestion originaux ainsi que des outils pédagogiques particuliers.
Il n’en tient qu’au mouvement coopératif de se présenter comme visionnaire et de prendre la place publique qui lui revient pour présenter ses alternatives concrètes au monde de la culture.
La mise en tension entre réussite artistique et coopération exige une nouvelle alliance démocratique. L’idéal type de l’artiste engagé exerce encore une fascination puissante mais a aussi ses contradictions dans la notion même de l’engagement. Le temps consacré au travail artistique, l’importance des revenus tirés de ses activités, le fait d’être reconnu artiste par ses pairs doivent s’accorder aux pratiques mutualistes, coopératives et associatives.

C.I : Que signifierait pour vous l’idée d’une mise en communs, d’une coopération dans le domaine culturel ?
SB : Imposer la coopération est un paradoxe qui mène à l’échec car s’il est impossible de prescrire la mobilisation psychique nécessaire à la coopération, c’est aussi, fondamentalement, une préoccupation inutile. Le problème devrait plutôt être renversé : comment procéder pour inciter un groupe, une communauté à aller dans le sens commun sans pour autant briser la mobilisation des intelligences et des individualités
L’engagement pour un commun signe un nouvel élan démocratique dans un contexte de forte fermeture institutionnelle et politique.  Il devient donc urgent de défendre comme un bien commun ces nouveaux espaces de coopération et d’innovation sociale liés aux transformations du travail, à travers le prisme des droits et de l’action publique…. Les CAE, Tiers lieux, Fablabs font la promesse d’un nouveau rapport avec les citoyens et la société civile, comme quelque chose qui concerne l’intérêt général de la communauté, au sens large.

En conclusion : la question du sens portée par la coopération est étroitement corrélée à la nature profonde des contributions artistiques :

  • Affect // Spontanéité // intuition // Imagination // Esthétique développent un travail sur les sens permettant dʼaborder de façon ludique un certain nombre de valeurs nécessaires à la construction de la personnalité et de ses rapports à lʼAutre.
  • Nouvelle vision // Symbolique // Appartenance // Valeurs communautaires encouragent la participation et l’engagement des personnes au projet collectif. Prise de confiance, développement des liens sociaux, rupture de l’isolement, expression et participation, amélioration du bien-être, épanouissement personnel, etc…

En savoir plus : 
Le site d’Artenréel
*Celui de Coopérer Pour Entreprendre

A lire aussi : Des pistes pour une nouvelle stratégie ? 4/5 Résilience, mutualisation et coopération

Auteur
Je m’appelle Cyril Leclerc. Je propose, en tant qu’indépendant, du conseil et de l’accompagnement en communication dans les domaines culturels et artistiques. Diplômé en Histoire de l’Art et en Ingénierie culturelle, je me suis, au fil de mon parcours, spécialisé dans la communication culturelle, jusqu’à en faire mon métier. J’ai notamment été pendant sept années, chargé de la communication culturelle à l’Abbaye aux Dames, la cité musicale (Saintes – France). Je m’intéresse particulièrement à la façon dont on peut mettre les outils marketing au service de projets culturels et comment la communication peut enrichir un projet culturel, lui apporter du sens…

Commentaires (1)

  1. […] Interview – Stéphane Bossuet « Aller dans le sens commun sans pour autant … mai 29, 2020 […]

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