Culture soutenable

Un festival pour s’ouvrir à « d’autres perceptions du monde ». Rencontre avec Valérie Baran (directrice du Tangram)

A Évreux, Le Tangram regroupe une Scène Nationale, un SMAC et un Palais des congrès.
Arrivée à la direction en 2019, Valérie Baran y a initié un festival intitulé « Les AnthropoScènes ». Retardée par la pandémie, le lancement de la première édition a pu avoir lieu en ce printemps 2022*
Elle a bien voulu nous recevoir pour nous parler de cet événement conçu pour « s’emparer de cette question cruciale qu’est l’environnement ».

Communicant.info : Bonjour Valérie, le Festival Les AnthropoScènes fait cohabiter – pour résumer – sciences et spectacle vivant… Comment vous est venu cette idée ?
Valérie Baran : Cette idée m’est venue de plusieurs façons.
La première provient d’une vraie conviction intime. Pour moi, il est absolument essentiel que nous emparions de ce sujet qu’est l’environnement, l’un des enjeux les plus cruciaux de notre temps. Car il est question de la survie de l’espèce humaine dans les années à venir. Il suffit pour cela de lire le dernier volet du rapport du GIEC. Ce qu’ils annoncent est assez clair depuis longtemps, mais là, on parle désormais d’une échéance qui est assez proche.
Il y avait donc cette conviction personnelle… Mais cette idée m’est surtout venue aussi du territoire. En effet, lorsque j’ai pris mes fonction à la direction du Tangram en septembre 2019, je suis venue découvrir ce département, cette ville. Deux choses me sont apparues. J’ai d’abord été saisi par la beauté de certains paysages : il y a beaucoup de petites vallées extrêmement belles, relativement préservées, avec des arbres, des feuillus centenaires, des cours d’eau magnifiques… Et puis, dès que l’on arrive sur les hauts plateaux autour d’Évreux, on voit un total changement de paysage avec des terres remembrées, des champs à perte de vue, pas un taillis, pas un arbre… Et puis de la monoculture avec de l’épandage de produits phytosanitaires… Ce que j’appelle des « terres mortes ». Je trouvais que cette schizophrénie du territoire était intéressante à aborder. On a l’idée de cette Normandie verte et c’est vrai qu’elle l’est. Mais elle est aussi extrêmement exploitée et peut être pas toujours de façon durable et c’est cela qui m’intéressait.
Enfin, la troisième chose et non la moindre, c’est que mon prédécesseur avait initié un festival qui s’appelait « Dédale » et s’adressait à la jeunesse et aux adolescents. Et lorsque j’ai étudié ce territoire, avant d’imaginer y développer un projet artistique et culturel, il apparaissait qu’il y avait une forte proportion de population jeune. Or, il me semble que la question de l’écologie, de la préservation de l’environnement sont des sujets qui mobilisent particulièrement ces derniers. Notamment parce qu’ils sont les premiers concernés. Et je trouvais qu’il était important de s’adresser à cette part de la population. Le festival Les AnthropoScènes n’est pas à l’unique destination de la jeunesse, mais je voulais avoir cette adresse particulière aux adolescents et aux plus jeunes.

« D’autres perceptions du monde « 

C.I : A l’heure où nous vous interrogeons, vous venez d’ouvrir le festival. Quel a été l’accueil réservé par les publics, qu’ils soient habitués du Tangram ou habitants du territoire ? Et comment vous avez réussi à les mobiliser, les sensibiliser à cette question de l’environnement ?
VB : Je dois dire, et j’en suis très heureuse que l’accueil a été très chaleureux et très enthousiaste. On se rend compte qu’une partie de la population et à fortiori, après la période de pandémie qu’elle a vécu, a pris conscience d’un certain nombre de sujets. Les pratiques pendant le confinement ont alternés entre temps passé sur le web pour certains. Mais d’autres ont aussi recherché ou se sont découvert un nouveau rapport à la nature avec notamment la présence / le retour de la faune sauvage dans les centres urbains. Ce festival (dont nous portions déjà le projet avant la crise sanitaire) porte le sous-titre « d’autres perceptions du monde ». L’un de ses objectifs est aussi d’inviter les gens à se reconnecter à la nature, d’apprendre à mieux la connaître. Car apprendre à mieux la connaître c’est apprendre à mieux l’aimer et donc a mieux la préserver.
Le festival a donc rencontré un écho très favorable auprès des populations et aussi des publics. Mais aussi auprès de nos tutelles, qui ont une réelle conscience des enjeux environnementaux et nous avons un portage politique assez fort. Lors de la soirée d’inauguration, j’ai été très émue par la conviction des discours politiques accompagnant ce festival.

« Des savoirs longtemps ignorés »

C.I : Revenons aux perceptions du monde. Vous avez voulu inviter des personnalités issues de peuples autochtones (que l’on appelle aussi peuples racines). Etait-ce pour proposer une diversité de vues et pour ne pas avoir uniquement la vision occidentale de l’Anthropocène ?
VB : Absolument. Ces peuples sont sont détenteurs d’une culture, de savoirs qui ont longtemps été méprisés. Or, l’on se rend compte aujourd’hui qu’ils possèdent une compréhension de la nature incroyable. Mais ils ont surtout un impact moindre sur celle-ci, parce qu’ils sont conscients que nous faisons partie d’un tout. Or, nous, les occidentaux, considérons que la nature est une ressource disponible qu’il faut s’en servir – autant que faire se peut et peu importe si nous l’épuisons – pour s’enrichir le plus possible…
Les peuples autochtones sont dans un rapport différent, comme le chef papou Mundiya Kepanga. Il a un amour, une connaissance et un respect magnifique pour la nature. Il dit : « vous mettez des noms sur les choses mais pour pouvoir mieux vous les approprier ». Eux n’ont pas forcément un nom pour chaque plante, chaque animal. C’est un rapport complètement différent dont on peut s’inspirer.
Ces populations vivent aussi en symbiose avec la nature et de ce fait, elles sont les premières à souffrir du dérèglement climatique, comme, par exemple, les peuples mélanésiens qui seront bientôt privés de terre en raison de la montée des eaux. Nous présentions hier un film de Corto Fajal qui raconte comment la manière de vivre des Samis est bouleversé par le dérèglement climatique. Je pense que c’est important de faire entendre ces voix et c’est à quoi le festival Les AnthropoScènes s’attelle…

C.I : Par le biais de l’art et de la culture, vous travaillez à « éveiller les consciences ». Mais dans les actes, depuis votre arrivée à la direction du Tangram, avez-vous commencé à changer les pratiques pour diminuer votre impact environnemental ?
B : Oui, évidemment. La première chose très simple que nous avons fait est d’arrêter l’achat de bouteilles en plastique. Avec les trois activités du Tangram, nous consommions (et jetions) 27000 bouteilles ! Nous avons aussi changé la flotte automobile et sommes passés en flotte hybride, nous avons aussi des vélos électriques pour les courts déplacements. Nous avons aussi édité un manuel pour travailler notre sobriété numérique en interne. Nous avons pu bénéficier de subventions pour nous équiper en LED pour l’éclairage des bâtiments, mais aussi pour les spectacles. Ce qui nécessite de sensibiliser certain.e.s compagnies et artistes qui n’y sont pas encore habitués.
On a mis en place un petit comité que l’on appelé RSE au sein de l’établissement où une partie de l’équipe participe volontairement à faire avancer les chose. Enfin nous sommes inscrits dans la démarche objectif 13 (dont nous avions parlé avec David Irle – voir l’article – NDR) et nous avons commencé notre bilan carbone. Nous avons cet objectif de réaliser ce bilan et de voir comment décarbonner notre activité.

* Plus d’informations sur le Festival sur le site du Tangram

Auteur
Je m’appelle Cyril Leclerc. Je propose, en tant qu’indépendant, du conseil et de l’accompagnement en communication dans les domaines culturels et artistiques. Diplômé en Histoire de l’Art et en Ingénierie culturelle, je me suis, au fil de mon parcours, spécialisé dans la communication culturelle, jusqu’à en faire mon métier. J’ai notamment été pendant sept années, chargé de la communication culturelle à l’Abbaye aux Dames, la cité musicale (Saintes – France). Je m’intéresse particulièrement à la façon dont on peut mettre les outils marketing au service de projets culturels et comment la communication peut enrichir un projet culturel, lui apporter du sens…