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Museum Connection – Impact social : s’engager auprès des séniors

En France, le sujet des séniors et de leur place dans la société a été rendu visible dans les médias suite à la parution du livre « Les fossoyeurs : Révélations sur le système qui maltraite nos aînés » (par Victor Castanet, journaliste d’investigation – NDR). La situation a-t-elle changé depuis ? Très insuffisamment au regard de la gravité des faits et maltraitances observées.
Pour les intervenants de la conférence « Impact social : s’engager auprès des séniors » le vieillissement de la population et la place des séniors sont insuffisamment entendus et débattus de manière générale. Il y a pourtant urgence à agir : en 2045 d’après les projections de l’Organisation des Nations unies, les plus de 70 ans représenteront plus de 20% de la population de l’Europe. On compte par ailleurs environ 1 milliard de personnes de plus de 60 ans dans le monde. Un chiffre prévu pour doubler d’ici 2050.
Dans ce contexte, les lieux culturels ont-ils un rôle à jouer ? Comment lutter contre l’âgisme et la « ghettoïsation des seniors » ? Comment les musées peuvent-ils contribuer à la santé et au bien-être des séniors ? Et comment participer positivement à ce changement sociétal à venir ?

Changer de regard pour un « vieillissement créatif »

Pour Maura O’Malley, Directrice générale et cofondatrice de l’agence Lifetime Arts basée à New York, la discrimination que subissent les personnes âgées est non seulement toujours d’actualité mais également « le problème le plus compliqué ». Maura O’Malley est engagée dans ce qu’elle nomme un programme pour un « vieillissement créatif ». Un concept à contrecourant des idées reçues : « la personne âgé est pensée moins intéressée, moins capable ou même sérieuse dans son apprentissage ». D’expérience Maura O’Malley sait que ces publics savent au contraire ce qu’ils veulent apprendre et comment ils veulent l’apprendre.

Expérimentation du Rijksmuseum pour sensibiliser ses équipes au handicap

Les musées (et le milieu culturel en général) ont donc un rôle à jouer. Cathelijne Denekamp, Manager Accessibility / Inclusion du Rijksmuseum à Amsterdam, rappelle que des études montrent que « l’art a un rôle positif sur le bien-être des personnes âgées ». Ainsi les musées peuvent organiser quantité d’évènements et activités pour les personnes plus âgées mais surtout, des programmes intergénérationnels pour sensibiliser les publics et les équipes contre des préjugés parfois férocement ancrés. Maura O’Malley abonde : pour lutter contre la discrimination par l’âge, il faut former toutes les parties prenantes… Afin de mieux comprendre ces publics, les équipes du Rijksmuseum se prêtent à des expériences pour vivre le handicap (port de poids ou de lunettes occultantes, usage d’un fauteuil, etc.). Une manière de sensibiliser par la pratique.

Étudier l’Histoire permet également de prendre du recul : le Rijksmuseum encore, dispose d’une collection qui va du Moyen Âge jusqu’à nos jours et permet, fait intéressant, d’étudier l’évolution de l’image des personnes âgées et leur représentation dans la société : aujourd’hui ignorées et / ou infantilisées, elles étaient vues, au contraire, comme étant pleines de sagesse auparavant.

Adapter les activités : du passif au créatif

Il est intéressant de revenir sur le type d’activité proposée aux séniors. « Comme nous le savons les gens vivent plus longtemps et en meilleure santé ». C’est un moment de la vie propice pour faire des activités, « s’engager pour la société et vivre des expériences positives », insiste Maura O’Malley. Or les activités dites « actives » sont souvent proposées aux plus jeunes… et peu aux séniors !

C’est pourtant la conjonction des arts / de la culture et d’un « apprentissage permanent » qui permet aux personnages âgés ce « vieillissement positif ». Florence Brachet Champsaur, Cheffe de service patrimoine et mécénat pour la SNCF, a souhaité rendre cette culture plus accessible, notamment pour les personnes âgées et / ou à mobilité réduite. Pour cela elle part d’une ligne directrice : valoriser le patrimoine par l’innovation et créer un pont entre le passé (le patrimoine) et le futur, soit la culture de l’innovation de la SNCF.
Dans un premier temps, c’est un lieu physique qui se rend accessible grâce à la réaliste virtuelle. On trouve sous la Gare de l’Est à Paris, un bunker des années 30. Témoignage vivant du passé, il n’est ouvert qu’une fois par an pour les Journées européennes du patrimoine et ne peut accueillir que peu de personnes et avec de fortes contraintes, notamment d’accessibilité. Ce qui a amené la SNCF à une première réflexion et à la production d’une visite en Réalité Virtuelle (VR) tout en continuant à proposer l’ouverture au public.

Enfin, organisé en partenariat avec le Centre des monuments nationaux et mis en place par la startup LUMIN, Florence Brachet Champsaur ouvre un projet de Réalité Virtuelle pour les personnes en EHPAD : la visite immersive du train jaune Occitan, permettant à la fois de découvrir ce train plus que centenaire et d’admirer les magnifiques paysages d’Occitanie. Le tout accompagné par un médiateur qui pourra commenter le voyage et dialoguer avec le groupe de 5 à 6 personnes. Les sessions sont évidemment adaptées (courtes, pas de motion sickness) pour que les personnes puissent profiter du voyage. Un questionnaire vient clore l’expérience pour continuer de stimuler les facultés cognitives.

En plus d’être adaptées, les activités ont tout intérêt à être le plus variées possible : les plus de 50 ans sont une population dont la diversité est largement sous-estimée (en matière « d’âge, d’orientation sexuelle, d’ethnicité, de région, de statut économique, d’accès à la technologie »…) et comprenant parfois plusieurs générations. Revoir les activités proposées aux séniors (« personnes / adultes plus âgés » comme préfèrent le dire Maura O’Malley et Cathelijne Denekamp) devient un enjeu de premier ordre.

Sans entrer dans les détails, Maura O’Malley explique que Lifetime Arts propose de la thérapie par les arts, un programme des arts participatifs, une éducation à l’art des personnes âgées mais également des activités pour promouvoir l’engagement social, le tout avec l’appui d’artistes qui enseignent professionnellement. De quoi rester actif, créatif et en lien avec la société.

Ensemble on va plus loin

Pour la formation des personnes qui souhaitent changer leur regard, pour proposer des activités variées mais aussi pour sortir de la solitude personnes âgées, malades et aidants, les partenariats sont d’une importance vitale.

France Alzheimer est une association de familles reconnue d’utilité publique et dédiée à aider les gens souffrant d’Alzheimer ainsi que leur famille, et à soutenir la recherche. Helene Clari, Directrice des missions sociales, présente le programme « Art, Culture et Alzheimer » né en 2014, lors de l’organisation de la journée mondiale Alzheimer à Paris. Interpelée par une responsable des publics dits « empêchés » du Musée de la musique (aujourd’hui Philharmonie de Paris), Helene Clari a mené un groupe d’échange et de travail pour créer des parcours de visite et des ateliers adaptés.

Programme "Art, Culture et Alzheimer" de l'association France Alzheimer

En 2015, le Palais Tokyo rejoint l’aventure, suivi du Musée Picasso. Aujourd’hui un grand nombre de musées partout en France ont rejoint ce programme. Malades et aidants peuvent ainsi se retrouver dans un lieu culturel et partager un moment agréable, accompagné par un médiateur. La visite peut se poursuivre par un atelier d’Art thérapie.

Patrick Barbeyron, responsable du Programme Art, Culture et Alzheimer à Paris, complète : en 2022 une cinquantaine de visites ont déjà eu lieu, soit environ 400 personnes sur le premier semestre. L’association continue aujourd’hui de rechercher des lieux / des musées pour faire grandir son réseau d’accueil partout en France.

Ce programme n’aurait pu voir le jour et durer dans le temps, sans un écosystème partenarial important et la confiance de ses parties prenantes : la visite est donc permise grâce à la Fondation Swiss Life, qui a pour mission d’agir sur la santé durable, la créativité et d’encourager les actions solidaires. Quant au transport des personnes, il est pris en charge grâce à Malakoff et l’AG2R mondial. Un site, Au rythme du souvenir, a également pu voir le jour grâce à des soutiens financiers, permettant de promouvoir cette démarche et d’encourager d’autres musées à rejoindre le programme.

L’Art : une clé pour sortir de la solitude

À l’heure où le problème de la solitude va croissant, l’art relie des gens en leur permettant de « faire partie de quelque chose de nouveau ». Le Rijksmuseum d’Amsterdam a ainsi imaginé des visites en groupe récurrentes : une fois constitué, le groupe ainsi que son guide attitré reviennent au moins 3 fois au musée. Voyage en commun en bus, temps de visite, tabourets installés devant les œuvres, participations à des activités, pause autour d’un thé… sont autant d’occasion de créer du lien. Avec un mot d’ordre : prendre son temps. La rencontre se clôture par une photographie du groupe et quelques échanges de coordonnées, si les participants le souhaitent.

Lors du premier confinement, les EHPAD ont fermé, empêchant de ce fait les personnes plus âgées de sortir ou de bénéficier des visites de leur famille. Cathelijne Denekamp raconte comment le Rijksmuseum a fait créer 4 répliques de La Ronde nuit de Rembrandt puis les ont placé dans des EHPAD durant 3 semaines. Les résidents pouvaient le « regarder en paix », « de très près » ou même « le toucher » (contrairement à l’original !). La Ronde de nuit est un tableau très connu, propre à éveiller les souvenirs, à faire naître des échanges, y compris chez les « personnes atteintes de démence ». Elle partage le témoignage d’une femme, dont la mère de 94 ans ne s’exprimait plus depuis bien longtemps. La vieille dame a fixé longuement le tableau avant de s’exclamer « Rembrandt ». Un moment « très fort pour cette femme et sa maman ».

Terminons sur une citation de Maura O’Malley : « personne n’est en dehors du club du vieillissement, nous vieillissons tous ». Voilà qui fait réfléchir à comment nous souhaitons vieillir et ce que nous pouvons créer dès aujourd’hui pour le faire dans les meilleures conditions.

Photographie de couverture : Jack Finnigan @jackofallstreets

Autrice
Amatrice d’arts visuels et de digital, je suis également une partenaire multifacette sur la communication, le marketing et le web. Je mets mes compétences à disposition des entrepreneurs et structures culturelles pour les inspirer, de manière à ce qu’elles soient le moteur de leurs projets culturels. Vous restez architecte de votre communication, à laquelle j’apporte plus de cohérence.