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Rencontre avec Guillaume Pfister, conseiller indépendant

Guillaume Pfister est conseiller indépendant de dirigeants de médias et de nouveaux acteurs des contenus. Son riche parcours réunit la culture, le marketing, l’économie et les médias. Après son intervention au Forum Entreprendre Dans la Culture nous lui avions posé quelque questions… Datas, marketing, relation culture / industries culturelles, il nous apporte sa vision

« Retrouver la capacité à prendre des risques »

Communicant.info : Bonjour Guillaume, pouvez-vous nous narrer votre parcours ?
Guillaume Pfister : J’ai construit tout mon parcours autour d’une préoccupation simple et constante : l’accès à la culture et aux œuvres.
Il m’a conduit de mes travaux de recherche à Normale Sup sur le Théâtre populaire et les capitales européennes de la culture à mes fonctions de direction marketing chez Deezer en passant par l’expérience de conseiller du ministre de la Culture Frédéric Mitterrand, de direction du Forum d’Avignon, (un think tank sur les liens entre culture, économie et médias), ou auprès du directeur général du Groupe Artémis – Financière Pinault.
Il y a tout juste 60 ans naissait cette mission de démocratisation avec la création du ministère de la Culture, elle est désormais brûlante d’actualité à une époque où les médias et les formes artistiques se multiplient, offrant autant de nouveaux moyens de partage à mi-chemin entre industries culturelles (Netflix, Deezer, etc.) et instruments de politiques publiques.

C.I : Vous connaissez bien le domaine du marketing… Vous savez peut-être que celui-ci est encore « redouté » par de nombreux acteurs et organisations culturelles. Qu’en pensez-vous ?  Et qu’aimeriez-vous leur dire ?
GP :
De ne pas le craindre. Le marketing est un mot passe-partout qui recouvre bien des réalités. Ce que j’étais venu chercher dans l’entreprise et que j’y ai trouvé, c’est ce formidable esprit d’initiative et cette sensibilité aux usages qui permet de mieux comprendre, de mieux appréhender, anticiper et accompagner les mutations et habitudes culturelles.
Il s’agit de retrouver la capacité à prendre des risques qui doit être inhérente à toute action publique culturelle, mais toujours dans le souci de la clarté du propos adressé au public. Ni mépris, ni mercantilisme. Les institutions et les industries culturelles gagneront à mieux échanger sur leurs métiers pour d’une part élaborer des politiques publiques mieux adaptées aux usages et d’autre part mieux sensibiliser les médias et industries culturelles à leur responsabilité dans la construction et la diffusion de nouveaux objets culturels.

« Garantir l’exigence et l’indépendance de la création »

C.I :  On oppose souvent les industries culturelles et la culture classique, qu’en pensez-vous ?
GP : L’un s’est toujours nourrit de l’autre. Au milieu du XIXe siècle, on recense des rapports de police faisant état de disparitions inquiétantes quand les personnes concernées faisaient en réalité la queue devant les théâtres pour voir la Reine Margot de Dumas ou les dernières pièces d’Hugo. Plus près de nous, une étude de 2013 du cabinet Bain illustre la manière dont le box office du cinéma mondial a évolué depuis quarante ans d’une majorité de créations originales ou d’adaptations d’œuvres littéraires à une domination des grandes licences et des épopées feuilletonnées jusqu’à favoriser l’apparition d’acteurs comme Netflix proposant de nouveaux récits. La valeur même des industries culturelles réside dans la diversité de la création et dans la qualité des œuvres, sauf à mettre en péril leur économie même. Pour trouver toujours autant de plaisir à découvrir les œuvres, sous quelque forme que ce soit, nous avons un besoin impérieux de garantir l’exigence et l’indépendance de la création, tout comme de préserver et réactiver toujours notre patrimoine.

« Il faut créer des passerelles entre acteurs de la curation de tous horizons »

Guillaume Pfister, conseiller indépendant

C.I. : Parmi les acteurs de l’industries culturelles, on retrouve les plateformes de contenus (Netflix, Deezer, Spotify, etc). Pour certain.e.s, elles seraient « anticulturelles », n’inciteraient pas à la sérendipidité, à la découverte… Elle enfermerait les publics dans leurs habitudes culturelles… Quelle est votre réponse ?
GP :
L’exemple de l’évolution du box office est saisissant. Si la logique économique l’emporte sur la nécessaire prise de risque, alors le système s’appauvrit et laisse une place à l’émergence de nouveaux usages, de nouvelles narrations. C’est le rôle de l’éditeur, du prescripteur qui est au cœur du débat. Ce sont ceux qui sauront le mieux assumer ce rôle, avec la prise de risque qui lui incombe, qui sauront le mieux tirer leur épingle du jeu. Cette logique s’applique aussi bien aux acteurs traditionnels qu’aux nouvelles plateformes, qui, victimes de leur succès, sont menacées d’obsolescence éditoriale.

Les récents succès de Radio France en termes d’audience, de rajeunissement de la marque et d’ouverture au numérique en sont un bon exemple. Le groupe a su démontrer comment, au sein d’une économie publique, l’exigence éditoriale, la clarté de la ligne proposée, adossées à une bonne intégration des nouveaux usages, pouvait permettre de construire un média moderne, pertinent et plébiscité par les auditeurs.

C.I : Vous accompagnez les institutions sur les enjeux de la relation culture / industries culturelles. Quels sont les intérêts d’une collaboration entre ces deux domaines ?
GP :
Avant tout de réaliser qu’elles ont beaucoup à apprendre les unes des autres. Un établissement comme le Centre Pompidou collecte sans doute plus de données sur ses visiteurs qu’une entreprise comme Deezer. Inversement, un éditeur d’une de ces plateformes de streaming, dont le métier est de créer des playlists, a sans doute une influence sur les goûts culturels des jeunes français au moins équivalente à celle de conservateurs des plus grands musées nationaux.

Ceux dont le rôle est la prescription ou la compréhension des nouveaux modes de consommation dans ces institutions et ces industries gagneraient à échanger sur leurs métiers à tort perçus comme éloignés mais participant en réalité d’une même démarche : susciter le plaisir de l’œuvre et l’envie d’en découvrir de nouvelles. Il faut créer des passerelles entre acteurs de la curation de tous horizons sans restriction de genre ou de pratique pour mieux atteindre l’objectif de démocratisation et davantage sensibiliser les nouveaux médias à leur influence culturelle.

Auteur
Je m’appelle Cyril Leclerc. Je propose, en tant qu’indépendant, du conseil et de l’accompagnement en communication dans les domaines culturels et artistiques. Diplômé en Histoire de l’Art et en Ingénierie culturelle, je me suis, au fil de mon parcours, spécialisé dans la communication culturelle, jusqu’à en faire mon métier. J’ai notamment été pendant sept années, chargé de la communication culturelle à l’Abbaye aux Dames, la cité musicale (Saintes – France). Je m’intéresse particulièrement à la façon dont on peut mettre les outils marketing au service de projets culturels et comment la communication peut enrichir un projet culturel, lui apporter du sens…

Commentaires (1)

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